Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/415

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lassent mettre en pieces un vaisseau qui avoit servi d’asile à tant de creatures. C’est ainsi que, par de semblables contes, les Armeniens amusent les étrangers.

Le Patriarche nous fit demander si nous avions veû le Pape, et trouva fort mauvais quand nous répondîmes, que ce ne seroit que pour nôtre retour. Comment, dit-il, vous venez de si loin pour me voir, et vous n’avez pas veû vôtre Patriarche ? Nous n’osâmes pas lui dire que nous n’étions venus en Armenie que pour chercher des Plantes. Que vous semble, continua-t-il, de mon Eglise d’Itchmiadzin ? en avez-vous d’aussi belles en France ? Nous lui répondîmes que chaque pays avoit ses maniéres de bâtir : que nos Eglises étoient dans un goût fort different, et que nous n’avions reconnu l’habileté des ouvriers que dans les chandeliers, les lampes et le reste de sa vaisselle. Ces pieces n’étoient certainement pas de fabrique d’Armenie. Pendant que ce venerable Prelat, que l’on auroit pris en ce pays-ci pour un bon Maître d’Ecole de campagne, donnoit ses ordres nous demandâmes à voir sa Chapelle, et nous mîmes trois écus dans le bassin pour payer la colation ; on fait ces sortes de charitez, plutost par bienséance que par devotion. On nous offrit encore à boire à nôtre retour, ce que nous refusâmes d’abord ne voyant point venir de pain ; mais il fallut boire pour remercier le Patriarche qui bût aussi à nôtre santé ; tout cela se passa fort agréablement. Aprés les complimens ordinaires, il nous donna un homme de sa maison, avec une Lettre de recommandation pour les Religieux qui sont sur la route du Mont Ararat ; ainsi nous allâmes coucher ce jour-là à deux heures d’Erivan, dans un Couvent d’Armeniens au village de Nocquevit. Nous y bûmes d’excellent vin clairet tirant sur l’orangé et aussi-bon que celui de Candie : mais de peur que le pain ne manquât, nous fîmes dire par nos Inter-