Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/452

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Ce fut, à ce qu’il disoit, pour nous avertir charitablement que nous n’étions pas là en seûreté ; que nous serions trop heureux, si l’on ne venoit pas nous dépoüiller pendant la nuit ; qu’il ne répondoit pas de nos vies ; que nous devions nous retirer au village dont le Sous-Bachi étoit ennemi juré des voleurs, mais qu’il ne pouvoit pas répondre de ceux de la campagne, entre les mains desquels nous tomberions peut-être le lendemain sur la route de Cars. Nous fîmes dire aux voituriers de seller nos chevaux pour nous retirer au village, où non seulement nous serions en seûreté, mais en lieu propre à secher mes habits ; ces malheureux, quelques instances qu’on pût faire, ne voulurent jamais se lever, et traitérent le donneur d’avis de visionnaire. Inutilement nous emportâmes-nous ; ils ne s’en emeûrent point ; les cinq écus de Capitations leur tenoient plus au cœur que nos vies. J’eus beau les faire asseûrer que je payerois pour eux, supposé que le Sous-Bachi les voulût exiger, ils crurent que c’étoit un leurre de ma part pour les engager à partir. Il y en eut un, qui pour faire le bon valet, apporta une brassée de brossailles, qu’il avoit amassées avec assez de peine, et qu’il avoit destinées à secher mes hardes ; mais le donneur d’avis, dont nous admirions la charité, ne jugea pas à propos qu’on l’allumât, de peur de nous faire découvrir à quelques malhonnêtes gens qui auroient pû faire leur ronde ; il asseûra même, que si le Sous-Bachi avoit eté averti du parti que nous avions pris, qu’il nous auroit obligez d’aller coucher au village ; qu’il falloit que nous fussions chargez de tous les diamants du Royaume de Golconde pour fuir le monde avec tant de précaution. Tout cela ne toucha pas nos Persans ; ils ne songeoient qu’à leur Capitation, mais nous en fûmes bien vangez le lendemain, quand on les saisit au colet aux portes de Cars, et qu’on les obligea de payer.