Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/604

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qu’on se reposeroit le jour du Sabbat ; ainsi nous quittâmes la grande Caravane, et nous ne nous trouvâmes plus que six personnes avec des fusils, sçavoir nous trois, deux voituriers, et les Juifs qui tous ensemble n’avoient qu’un méchant mousqueton à roüet, plein de crasse, et qu’on ne pouvoit pas charger faute de baguette. Ces bonnes gens apprehendoient si fort les Turcs, qu’ils se cachoient du plus loin qu’ils en appercevoient ; quand ils ne pouvoient pas se cacher, ils quittoient leurs Turbans à sesse blanche. Nous avions pris des Turbans blancs à Angora, afin de n’être pas connus pour Francs, par les voleurs qui les dépoüillent impitoyablement. Nous en rencontrâmes pourtant cinq, armez de lances, entre Pruse et Lopadi ; mais tout se passa honnêtement de leur part.

Le lendemain 11 Decembre nous continuâmes nôtre route dans la Michalicie, laquelle fait une partie de la Mysie des anciens, et marchâmes jusques sur les deux heures dans une grande plaine, bien cultivée, relevée de quelques collines couvertes de bois ; mais on ne voit sur le chemin que Squeticui méchant village à droite. On laisse à gauche un puis à bascule pour la commodité des passans. Ensuite on passe une petite riviere qui va se jetter dans le Granique ; aprés quoi nous nous trouvâmes sur le bord de cette riviere. Ce Granique, dont on n’oubliera jamais le nom tant qu’on parlera d’Alexandre, coule du Sud-Est au Nord, et ensuite vers le Nord-Oüest avant que de tomber dans la mer ; ses bords sont fort élevez du côté qui regarde le couchant. Ainsi les troupes de Darius avoient un grand avantage, si elles en avoient sçeu profiter. Cette riviere si fameuse par la premiere bataille que le plus grand Capitaine de l’antiquité gagna sur ses bords, s’appelle à present Sousoughirli, qui est le nom d’un village où elle passe ; et Sousoughirli veut