Page:Tourneux - La Bibliothèque des Goncourt, 1897.djvu/12

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Si agréable qu’il soit de recourir aux richesses d’autrui, les vrais travailleurs sentent bien vite la nécessité de se servir d’outils qui leur appartiennent en propre et, grâce à l’aisance dont ils jouissaient, les deux frères purent accumuler en quelques années la plupart des matériaux (livres, autographes, portraits ou estampes) d’où est sortie toute la partie historique de leur œuvre et non la moins durable, car alors même que l’on a repassé ou que l’on repassera dans les sillons qu’ils ont creusés, il faudra toujours leur tenir compte du souci de faire vrai qui fut leur préoccupation constante. Actuellement le « Document » est en honneur et chacun prétend y avoir recours ; il n’en était pas ainsi tant que Jules Janin, Léon Gozlan (dans les Châteaux de France), Arsène Houssaye et Paul de Musset passèrent pour seuls « bien connaître » le XVIIIe siècle.

C’est ce souci, alors tout nouveau, de ne rien alléguer sans preuve qui a inspiré à Monselet la délicieuse saynette des Tréteaux où il montre les deux frères achetant, pour la décrire, une tasse de Sèvres ayant appartenu à Mme de Pompadour, et entrant chez Jacques Charavay pour voir ses dernières acquisitions. Mieux vaut, d’ailleurs, citer textuellement ce dialogue prêté aux deux frères et à l’expert qui les comptait, ainsi que Laverdet, parmi ses clients assidus :

« À présent, dit Jules à Edmond, passons rue de Seine chez Charavay qui m’a promis de nous réserver quelques autographes pour notre Histoire de la Société française sous l’Empire.

« Je vis par là[1] que si Edmond avait la manie du bric-à-brac, Jules de Goncourt, en revanche, était possédé de la

  1. Ce n’est point Monselet qui est en scène, mais l’un des soi-disant agents d’une escouade de policiers chargés de filer divers gens de lettres et dont les noms sont empruntés à ceux dont Balzac s’est servi dans plusieurs de ses romans.