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Page:Tousseul - Aux hommes de bonne volonté, 1921.djvu/39

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Soir

À Hubert COLLEYE

Il fait Bon, il fait calme, il fait beau. Le soleil vient de se coucher, le fleuve se frise sous le vent doux : on croirait voir des algues qui voyagent. Une odeur âcre et vireuse de tanaisie flotte dans l’air. Un vol triangulaire de bécassines rase l’eau en chevrotant. Un rossignol doucement chante. Les étoiles s’allument, une à une.

Il fait beau. Je suis seul, je suis heureux et je m’en vais, les yeux mouillés, les mains tendues, des cantiques sur les lèvres. Et je tends mes bonnes mains au passant qui vient vers moi : « Frère ! » Dans une langue étrangère, l’inconnu me dit : « Tu n’es pas de ma race ! Les tiens sont mes ennemis. » Et il s’en va.

Je tends mes bonnes mains à un autre passant qui hésite un instant, examine mes habits et me dit : « Tu n’es pas de ma classe. Les pauvres m’en veulent. » Et il s’en va.

Je tends mes bonnes mains à une passante : « Sœur ! » Elle s’écarte du chemin et me dit : « Tu n’es pas de mon sexe. Les hommes sont égoïstes. » Et la femme s’en va.