Page:Tousseul - Aux hommes de bonne volonté, 1921.djvu/40

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Je tends mes bonnes mains à un gosse attardé : « Petit Frère ! » Il s’enfuit en criant : « Tu me fais peur, tu es laid, tu es donc méchant. »

Je tends mes bonnes mains à la petite infirme qui vient vers moi la main tendue et je lui dis : « Ma pauvre Sœur ! » Mais la pauvresse me jette des pierres : « Tu te ris de moi. Va-t’en : les gens bien bâtis sont féroces. »

Voici le simple qui vient en chantant, dansant, gesticulant, animant l’horizon rose de ses gestes fous. Je tends encore mes mains désespérées et lasses d’être tendues : « Frère, viens : je suis seul et j’ai peur d’être seul. Ne m’abandonne pas. Je suis si malheureux ce soir ! » Et le Fou vient vers moi et m’embrasse. Nous allons, nous sommes heureux, le fou et moi, les deux fous. Nous sommes deux primitifs sous un soir des premiers âges. Je chante quelque chose que j’avais là, dans ma gorge et dans mon cœur, depuis longtemps, depuis toujours.

« Depuis les matins du monde, la Vie est belle et généreuse : elle nous a tout donné pour nos yeux, pour notre nez, pour notre bouche, pour nos oreilles, pour notre corps : le ciel et les astres changeants, les paysages toujours neufs, les parfums, les fruits, la musique de l’eau, du vent et des oiseaux, et la Femme. La Vie est belle. Nous vivons dans un paradis… » Les paroles bénies sortent de ma bouche tordue : « La Vie est belle. Soyez-lui reconnaissants en respectant ses créatures : homme, fleur, chien, caillou… Aimez-vous bien !… »

Et voici que, dans l’ombre, surgissent mes passants de tantôt. Je dis à l’étranger : « Frère, écoute-moi. N’es-tu pas comme moi un ouvrier ? N’as-tu pas manié les mêmes outils sur lesquels tes mains ont saigné ? Tes enfants n’ont-ils pas faim comme le mien ? Sais-tu où se trouve la