Page:Tousseul - Aux hommes de bonne volonté, 1921.djvu/41

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frontière ? En as-tu vu la ligne ? Veux-tu m’aimer ? Va-t’en, rentre chez toi, car la misère et l’angoisse sont dans ta maison. »

Je dis au second : « Veux-tu te mettre tout nu comme au jour de ta naissance ? Il est vrai que mes mains sont calleuses du travail de ce matin et que tes doigts sont chargés de bagues. Il est vrai que je suis pauvrement vêtu et que tes habits sont riches. Mais c’est ton prochain qui t’a paré. Tu es comme moi à la merci du malheur. Veux-tu que nous nous liguions contre lui ? Viens avec moi chez les pauvres. »

Je dis à la passante : « Pourquoi t’es-tu enfuie ? Je ne voulais que te serrer les mains et voir au fond de tes yeux, parce que tes mains de femme sont douces et que tes yeux de femme sont toujours purs. Veux-tu être bonne ?… »

Je dis au petit rassuré : « Je ne suis pas méchant parce que je suis laid. Demande à mon enfant si je ne suis pas le meilleur et le plus beau des hommes. »

Je dis à l’infirme : « Que veux-tu ? Veux-tu du pain ou un baiser, veux-tu un bon baiser qu’on ne t’a jamais donné ? »

Je dis au fou : « Tu es heureux, il ne te manque rien, tu es un petit enfant de trente ans. »

Nous vivons dans un coin de paradis. L’étranger a donné son pain à la mendiante ; l’enfant a vidé ses poches qui étaient pleines de cailloux ; le riche a donné ses bagues au fou et la femme nous a embrassés l’un après l’autre, s’attardant auprès du Simple transfiguré. Nous étions heureux tous les sept sous un soir biblique.

Mais voici que le canon gronde et que, comme une volée de grues lumineuses, des fusées montent de la colline. On bombarde la ville voisine.

L’étranger s’en fut en disant : « Tu m’as trompé : nous