Page:Tousseul - Aux hommes de bonne volonté, 1921.djvu/56

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dans un décor prestigieux : des prêles, des algues, des joncs, plantes gigantesques pour les yeux des petites bêtes. On songe à la faune singulière, aux fleuves sauvages et aux végétations luxuriantes des époques primitives. Je constate avec horreur que je suis seul de mon espèce, ici, et que des millions de vies m’entourent : végétaux et insectes. Ceux-ci sont en train de manger notre planète errante, ils nous la disputent, ils nous mangent nous-mêmes, ils vivront après nous. Le règne des insectes a commencé. Ils grouillent autour de moi, dans l’air, l’eau, l’herbe, le sol. Que m’importent leurs noms ? Mais je sens qu’ils sont vraiment les rois de la terre et que les millénaires leur donneront raison.

Ne serions-nous que des pèlerins accidentels de l’évolution ? Ne serions-nous pas ridicules en nous imaginant que les autres astres refroidis sont habités par des « hommes comme nous » ?

De nouveau, la plaine m’apporte des effluves de virilité. Je me sens grand d’avoir compris ma petitesse, de n’être pas comme les autres, qui rentrent leurs bêtes ou qui fument leur pipe au pignon de la maison isolée et qui sont bien plus heureux que moi, puisqu’ils n’ont jamais eu ce vertige de bas en haut, qui m’a assis, ce soir doux et tragique de septembre, sur le bord d’une grand’route de Hesbaye.

Cependant, je voudrais crier aux autres l’hostilité du monde, l’agonie des astres qui nous entourent, l’invasion des règnes futurs, notre dégénérescence, et leur faire concentrer leurs efforts contre les Puissances homicides. Ils oublieraient peut-être ainsi de se suicider et de se manger entre eux. Les hommes créeraient la Paix universelle pour se défendre contre la Nature.