Page:Tousseul - Aux hommes de bonne volonté, 1921.djvu/62

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Notre guide, à chaque station, signale notre passage. Des ouvriers nous interpellent : ils nous confondent avec des compagnons de travail, dont nous avons l’habit et l’allure. Puis ils élèvent leur lampe à hauteur de notre visage et s’excusent en souriant de leurs dents blanches. Je les salue fraternellement et je mets tout mon amour dans la fanfare du mot : « Camarades ! »

Nous remontons par un trou, sur le grès. Les bois nous servent encore d’échelons. Nous laissons dans la fosse des ombres qui bougent — toutes les mêmes : même coiffure, même vêtement, même outil, même tache d’or au cou, — des flammes vacillantes, des ahans, des coups sourds et des bruits mystérieux. Nous rampons : au-dessus, du noir ; en dessous, du noir, et la poussière de houille nous lubrifie les mains. Une galerie. Éreintés, nous nous asseyons un instant, la lampe entre les cuisses lasses, et nous bavardons dans le courant d’air, qui charrie du moisi et de la benzine. Un grondement encore. Nous nous collons contre les murs humides et fleuris de taches blanches : un cheval, puis le train de berlines sonores, des lampes qui bougent, une silhouette…

Nous bavardons. Une émotion me mouille les yeux. Nous sommes près du cœur de la terre. Tout autour de nous, des hommes arrachent de ses entrailles à coups patients d’outil, le soleil pétrifié qui ira jeter sa chaleur et ses fumées à la face du soleil demeuré astre. Est-ce qu’un mort — écorché par le grisou, écrasé comme une figue, noyé comme un rat — n’est pas resté enseveli à cette place qui nous sert de halte aujourd’hui ?

Je songe à ceux qui sont remontés des caveaux habités de Sambre-et-Meuse, qui se promènent sur des béquilles