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carrières Marier, tout près du cimetière Notre-Dame d’aujourd’hui. La pluie battait de plus belle. Les chevaux tiraient à grande peine. Les esprits, humainement, devaient être abattus ; la perspective d’entrer dans une localité indifférente, peut-être hostile, n’était pas propre à remonter les courages. Tout à coup, les religieuses virent s’avancer à leur rencontre, à travers l’arcature effeuillée des arbres bordant les lacets courbes du chemin, un cortège étrange de véhicules et de piétons.

Combien cette journée du 20 février 1845 reste mémorable dans l’histoire de notre ville ! Ce cortège, c’est la foule — toutes les races et toutes les croyances qui se donnent une fois la main pour saluer les hérauts de la paix et de la consolation. Il y a là le révérend Spence, pasteur de l’église presbytérienne écossaise ; le Père Molloy, desservant de la population irlandaise catholique ; un jeune homme qui doit peu après s’appeler le chevalier Heney, un autre qui devient en 1847 maire de Bytown, M. Turgeon. Jamais mosaïque d’équipages, de costumes, de langage, de physionomies, n’a été mieux marquée au Canada, et pour une cause plus noble.

Malgré l’averse, on échangea les salutations les plus joyeuses, comme bien on pense, et les quatre-vingts voitures qui s’étaient portées au devant des sœurs, reprirent leur trajet vers le village, pendant que les piétons, nombreux, resserraient leurs rangs dans la neige fondue et la glaise délayée, pour faire conduite aux messagères de l’aurore nouvelle.

Quiconque venait de Montréal à Bytown, suivait le chemin actuel. Une fois la rivière des Rideaux franchie, on gravissait le raidillon taillé en pleine glaise entre deux buttes de sable, puis on longeait les cimetières, qui occupaient l’emplacement actuel du parc Macdonald. La route dégringolait ensuite en montagnes russes jusqu’au marais élargi croupissant entre les rues Nelson et Cumberland, et qu’on passait sur des falourdes. Partout des arbres, partout le bois, partout la désolation d’un terrain fangeux sous la neige liquéfiée.

Les rares maisons de la rue Rideau et de la rue Sussex étaient pavoisées, ce jour-là du 20 février 1845. Les cinq voyageurs, courbaturés, trempés mais heureux, passèrent au milieu des ova-