à quiconque voulait tenter des relations avec les démons. Jusqu’ici Pitro avait été simplement idiot. Il devint crétin et de plus hypocrite. Il amenait toujours la conversation sur les Poules Noires passées et futures, et damnait à bon escient tous les chrétiens assez mécréants pour donner leur âme au Malin en échange d’un peu d’argent. Lorsqu’il se fut à son avis suffisamment bourré le crâne des choses indispensables au succès de son entreprise, il attendit son jour. Il avait dans l’intervalle visité toutes les basses-cours du village, et savait à quoi s’en tenir sur la population des poulaillers et sur la façon d’y avoir accès.
Des écoliers le surprirent, certain jour de congé, au milieu de l’érablière, en train de se livrer, tout seul, à un exercice qu’ils ne comprenaient pas. Pitro tenait de la main gauche une poule morte, la faisait tournoyer au-dessus de ta tête en prononçant et scandant des paroles inintelligibles, et la lançait par-dessus son épaule gauche à une distance phénoménale. Il regardait tomber puis allait ramasser la poulaille, revenait à son poste, et recommençait. Parfois il interrompait un mouvement en marche, corrigeait la flexion du bras ou la suspension en ligne bien verticale de la poule :
— Non, cé pas çâ.
Il reprenait alors le mouvement, sans fatigue, accordant un soin méticuleux au moindre geste, étudiant chaque courbe du coude et du poignet, débutant avec lenteur, puis accélérant jusqu’au presto vertigineux, sitôt qu’il croyait avoir enfin surpris le tour exigé. Les enfants coururent au village raconter ce qu’ils avaient vu et entendu, mais personne ne voulut les croire, sauf Salvaye, qui pour sa part en savait long sur ce mystère.
Septembre arriva. Les jours et les nuits conservaient encore une bonne chaleur. Le vendredi où la lune nouvelle était annoncée dans l’almanach, il faisait un temps superbe. Toute la journée Pitro fut nerveux. Il se promenait le long de la rivière, allait s’accouder sur le petit pont, pèlerinait dans la Savane, ne pouvait pas rester en place. Ses préoccupations n’empêchèrent pas l’heure de faire son chemin, et l’angélus était sonné depuis longtemps lorsque Pitro prit la route du souper, en repassant dans sa mémoire les aspects divers de son projet. Il lui fallait voler une poule, absolument noire — la crête exceptée s’entend — chez une veuve dont le mari était mort depuis au moins sept ans ; cette veuve devait habiter une maison où il n’y avait pas un seul homme, pas même un enfant du sexe masculin. Ces conditions préliminaires étaient péremptoires. Certes, il y avait bien quelques veuves dans la paroisse, mais la Catherine avait sept garçons ; la Méré en avait cinq ; la Gritte avait ses quatre frères, et la