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LA SOCIÉTÉ ROYALE DU CANADA

tendres. Il avait entre autres pièces de son répertoire une fameuse renommée :

Catin, Catin, belleu Catin,
Queu fé-tu-u dans ton hardin !
— He tuille dé fleurs
De mille couleurs,
Pour mon sa-arviteur ;
C’é pour z-y en fére in présent
T-à mon-on fidè-èle amant.

Pitro avait une raison secrète d’aller en veillée. Il aimait les contes, les belles histoires, surtout les contes de fées et de loups-garous, qu’il écoutait les yeux grands, la bouche béante. Un soir, le vieux Salvaye raconta comment s’était vendue de son temps la Poule Noire. Il avait été lui-même, naturellement, le héros de l’aventure, et la Poule Noire lui avait rapporté trois mille piastres et neuf francs. Malheureusement, il avait un jour oublié les engagements pris avec le Diable, et avait fait un signe de croix pour détourner le tonnerre. Du coup sa richesse avait été engloutie avec la grande maison dans le fond du Richelieu, et depuis lors Satan et lui ne se parlaient plus.

Voilà au moins une histoire qui faisait plaisir à Pitro. Il devait y avoir du vrai dans ce récit, puisque le père Salvaye était de tous les villageois le moins menteur. Pitro se promit bien à l’occasion d’essayer un peu, voir, d’acquérir sans effort trop coûteux assez d’argent en une fois pour continuer impunément à ne rien faire, et pour se payer, enfin, de grasses godailles au nez des habitants incrédules. Pitro rêva toute la nuit. Certains traits, cependant, étaient restés obscurs. Il relança donc le conteur aux bâtiments, et fit préciser les détails incompris. Décidément les vertus de la Poule Noire méritaient mieux qu’une attention passagère. Pour une fois dans sa vie il décida de travailler quelques heures afin — il en était intimement certain — de ne plus avoir à besogner du tout par la suite.

Les beaux jours étant revenus avec l’herbe et le soleil, il ne songea pas à retourner dormir dans le champ d’herbe à dinde, mais se prit d’une amitié profonde pour le père Salvaye. Il ne le quittait plus, le suivait dans les prés, faisait à son intention mille et un petits objets, et finissant toujours par lui demander des explications sur la désormais obsédante Poule Noire. Salvaye comprenait bien le jeu de Miray, mais faisait le finaud, ne laissait rien transpirer au dehors. Il mit un comble à l’émotion de Pitro en lui avouant une fois qu’il avait chez lui, au grigner, un gros livre dans lequel tout était expliqué. Ce livre était Le Grand Albert, un traité de magie blanche et noire indispensable