« C’était long, très long. Ça rimait pour l’oreille et pas autrement.
« L’hiatus y coudoyait la cheville que c’en était une bénédiction.
« Quant à l’hémistiche et à la césure, ni vu ni connu.
« Un prêtre de mes amis trouva cela magnifique.
« Il me semblait qu’il devait connaître les règles de la versification.
« Moi, je ne les connaissais pas.
« Il choisit une dizaine des quarante-deux strophes et me conseilla de les envoyer à Oscar Dunn, alors rédacteur en chef de l’Opinion Publique.
« Chose étrange ! Malgré sa qualité de rédacteur d’un journal littéraire, Oscar Dunn pouvait faire la distinction entre des vers bien faits et un vilain assemblage de prose rimée.
« Il eut la complaisance de me renvoyer mon manuscrit après m’avoir souligné les fautes nombreuses qu’il contenait.
« Je montrai cela à mon ami, l’abbé X., qui m’avoua n’y rien comprendre, puis je soumis la chose à M. J. A. Chagnon, ex-zouave pontifical, qui faisait alors des vers… et ses études de droit à Sherbrooke.
« M. Chagnon m’expliqua comme quoi j’étais un imbécile et, bien qu’il y mît beaucoup de réserve, je compris parfaitement que j’avais besoin d’étudier les règles de la versification.
« J’ai détruit ce premier chef-d’œuvre, ce qui était très bien ; mais j’en ai fait d’autres, ce qui était moins méritoire, et je les ai publiés, ce qui était très mal.
« M. Chagnon est aujourd’hui avocat et rédacteur du Journal de Waterloo et il ne fait plus de vers, mais c’est sa faute si j’en fais encore.
« C’est lui qui m’a mis sur la voie qui conduit à la versification intermittente, un métier très lucratif, mais qu’on aurait tort d’encombrer au moment où notre agriculture manque de bras.