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PIERRE QUI ROULE

Entre les âges de trois et quatre ans, les impressions sont vives ; mais les souvenirs qu’elles laissent sont peu coordonnés. On ne synthétise guère à cet âge heureux. Tout nous étonne alors, tout nous parait mystérieux. Le monde est si nouveau pour le « dieu tombé qui se souvient des cieux ! » De son premier séjour à Contrecœur, voici cependant quelques-uns des souvenirs que Quéquienne a conservés :

Un dimanche, pendant que son père et sa mère étaient à la messe, il avait lancé à la tête de sa jeune tante, qui le faisait endéver, un jouet quelconque, lequel, décrivant une parabole imprévue, était allé briser un miroir. Au retour des parents, il y avait eu explication, suivie d’arguments assez frappants pour convaincre le coupable de son erreur.

Un autre dimanche ; durant la belle saison, la mère Quénoche avait revêtu Quéquienne de son costume de cérémonie. C’était une belle robe à fond blanc ornée de fleurs rouges et Quéquienne en raffolait. Le sol du brûlé de Contrecœur est formé d’une couche de glaise bleue dans laquelle vous pouvez enfoncer une perche de dix-huit pieds. Or, les cochons, qui recherchaient la fraîcheur, se vautraient dans les fossés le long de la route. Ils avaient donné au peu d’eau qui restait au fond la consistance d’une belle pâte à crêpe couleur d’ardoise. Quéquienne crut qu’il n’avait rien de mieux à faire que d’imiter les cochons puisque personne n’était là pour l’en empêcher. Lorsqu’il sortit du fossé, la robe n’était pas belle à voir, ni lui non plus, d’ailleurs. Dire que la mère Quénoche était contente, ce serait exagérer. Quéquienne reçut une autre correction. Hélas ! ce ne devait pas être la dernière.

Après, une période de pluie abondante, l’eau du Saint-Laurent ayant été quelque peu refoulée dans la Grande Décharge creusée pour le drainage des terres,