Barreau portait encore sur l’échafaud le pantalon bleu sombre à nervure bleu ciel des officiers de l’infanterie américaine. Il gravit l’escalier d’un pus alerte, baisa le crucifix que lui présentait l’aumonier et se plaça sur la trappe qui fut aussitôt ouverte par le bourreau. Le gibet était assez élevé pour que la foule put voir, pardessus les hautes murailles de la prison, le supplicié dont les membres se convulsaient au bout de la corde. Le corps se raidit, les yeux se dilatèrent, la langue sortit de la bouche et, le médecin ayant constaté la mort, le capuchon fut rabattu sur cette figure tuméfiée. Quéquienne entendit alors l’un des spectateurs de cette scène navrante dire en termes peu élégants mais sur un ton bien convaincu : « La peine de mort, ça d’vrait pas-t-être. »
GROSPERRIN
Quéquienne avait déjà vu Grosperrin. Le printemps précédent, lors de son passage à Montréal, à son retour de l’armée américaine, il avait entendu, au Marché Bonsecours, l’incorrigible rimeur chanter quelques-unes des chansons qu’il avait fait imprimer sur des feuilles volantes et qu’il vendait à un sou. Il était coiffé d’un chapeau qu’il prétendait avoir appartenu au colonel de Salaberry et qui aurait bien pu avoir appartenu à Noé. Il avait même écrit à ce sujet une ode dans laquelle on lisait le vers suivant :
« Tu couvris le guerrier, tu couvres le poète. » |
On n’a jamais pu savoir si, chez lui, le savetier nuisait au poète ou si c’était le poète qui nuisait au savetier ; mais il est certain que l’un déteignait sur l’autre. Son grasseyement trahissait son origine pa-