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Page:Trent - Litterature americaine.djvu/234

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226 LA PEI5IODE LOCALE (1830-1865)

Tlîoreau serait quelque peu vain. Ce fut un moraliste, un naturiste, un idylliste, un philosophe tout ensemble des écoles cynique et stoïque, et de plus un transcendantaliste, un révolté, en de rares occasions un adorateur de héros, un humoriste, un excentrique — bref, un parfait original. « J’ai toujours trouvé très peu de profit h beaucoup frayer avec les hommes », écrit-il en 1864 ; pourtant peu d’écrivains parlèrent plus sagement de l’amour et de l’amitié. Comme moraliste, il a une portée moindre qu’Emerson et personne ne songerait à l’assimiler à Marc Aurèle ; mais c’est un penseur plus original et plus profond qu’Emerson et qui en impose plus fortement à certains esprits.

C’est l’écrivain plutôt que le penseur ou l’observateur qui, chez Thoreau, mérite l’admiration la plus sympathique. Nous pouvons, tant que nous voudrons, ne pas être de son avis quand il prêche ou quand il moralise ; nous pouvons nous intéresser fort peu aux beautés et aux merveilles qu’il découvre dans les plaines, les forêts ou les étangs de Concord ; mais si nous sommes amateurs de bonne prose, nous pouvons être certains de le lire avec presque autant d’intérêt et de plaisir que si nous étions d’accord avec lui sur chaque mot. Son imagination, son esprit nous réjouissent. Nous nous apercevons bientôt que chaque page recèle une provision de surprises h notre adresse. Tantôt c’est une fine épigramme, tantôt une pensée subtile, tantôt une profonde observation sur une phase importante de la vie ou de la nature. Ici, allant droit au but, sans détour ; là, capricieux et plein d’humour, ou sarcastique, ou inspiré ; puis, après un passage joliment écrit, c’est une négligence triviale, une plaisanterie outrée, ou une note de vulgarité. C’est un provincial-cosmopolite, un Grec de