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Page:Trevoux - Dictionnaire, 1721, T01, A.djvu/6

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ij PREFACE


teurs qui y sont citez, & qu'on y prend en quelque maniere pour regle : ce qui fait comme deux espèces différentes de Dictionnaires. Celui de l'Académie Françoise est de la premiere espèce, & ceux de Richelet, de Furetiere, &c. sont de la seconde ; tous sont excellens en leur genre ; cependant les Auteurs des Dictionnaires de cette seconde espèce n'étant que de simples particuliers, n'avoient point, quelque éclairez qu'ils pussent être, assez d'autorité pour décider de leur chef. Ils se sont donc vûs obligés par là d'emprunter des Ouvrages d'autruy une autorité qu'ils ne pouvoient se donner d'eux-mêmes, & d'appeller en témoignage nos plus sçavans Ecrivains, sur les choses qu'il leur falloit décider. L'Academie au contraire faisant un Corps de personnes qu'on a crû les mieux versées dans la Langue, & se trouvant chargée en particulier de la composition d'un Dictionnaire, ne pouvoit avec honneur en user autrement qu'elle a fait. Ce qu'on demandoit d'elle dans cet Ouvrage, n'estoit point de rapporter les sentimens des autres sur les difficultez de la Langue & sur l'usage, mais de déclarer les siens. En effet, s'il n'eust esté question que de citer les Auteurs qui ont écrit avec succés & dont l'autorité pouvoit estre de quelque poids, il n'eust pas esté necessaire d'assembler tant d'habiles gens & de les occuper durant tant d'années à un Ouvrage, qu'un simple particulier avec quelque érudition & quelque usage de la Langue eust pû achever en beaucoup moins de temps, ainsi que l'expérience l'a fait assez voir. D'ailleurs, comme une partie de nos meilleurs Écrivains estoient membres de l'Academie, ils auraient souvent esté obligez de se citer eux-mêmes, ce qui n'eust pas esté dans la bienseance, & ce qu'ils n'auroient pû faire sans blesser cette modestie qui convient si bien aux Auteurs. Il n'estoit pas même, ce semble, de l'honneur de l'Academie d'en citer qui ne fussent pas de son Corps, puisque c'eust esté en quelque sorte soûmettre son autorité à une autorité étrangere qu'elle estoit en droit de regarder comme inferieure à la sienne. C'a donc esté pour elle une nécessité de ne citer jamais, comme c'en a esté une pour les autres de citer toûjours. On doit regarder en cela l'Academie comme une Cour souveraine qui a droit de donner des Arrêts sans estre obligée d'en rendre compte ; au lieu que les autres ne peuvent estre considerez que comme des Avocats qu'on consulte & qui ne font foy qu'autant qu'ils sont fondez sur de bonnes raisons ou sur des témoignages certains. De dire maintenant laquelle de ces deux forces d'autoritez doit l'emporter, c'est ce qui n'est pas aisé. Ceux qui sont pour le Dictionnaire de l'Academie pretendent qu'il y a plus de sûreté à suivre ses décisions, en ce qu'ayant esté faites aprés de mûres & de longues deliberations durant plusieurs années, & après une discussion exacte de toutes les difficultez qui pouvoient se rencontrer, il n'est point probable que des personnes si habiles, en si grand nombre, de caractere & de profession si differente, se soient trompez dans une matiere où ils apportoient toutes les precautions imaginables pour ne se point tromper ; au lieu que les divers Auteurs qu'on cite dans les autres Dictionnaires, n'ayant bien souvent employé un terme dans leurs écrits, que parce qu'il se presentoit & qu'il leur paroissoit bon sans autre examen, il est à présumer qu'ils ont pû aisément s'y méprendre. D'un autre costé, ceux qui sont pour les Dictionnaires appuyez sur l'autorité de ces derniers, soûtiennent que les témoignages qu'on tire de leurs Livres sont d'autant moins suspects, que les Auteurs s'accordent ensemble sans s'estre communiqué leurs sentimens, & qu'ayant écrit chacun à part, ils n'ont pas laissé de convenir dans la maniere de s'exprimer. C'est cette conformité qui paroît plus considerable à bien des gens, que la décision de tout un Corps quelque illustre & quelque éclairé qu'il soit, en ce qu'il arrive souvent dans ces sortes de déliberations que l'autorité d'un seul entraîne les suffrages de tous les autres.

Quoy qu'il en soit, il semble que le Public penche un peu plus du costé de ceux qui citent, que du costé de ceux qui ne citent pas, moins peut estre par raison que par une certaine malignité, & par un effet de cet orgueil si naturel à l'esprit humain, qui n'aime pas à estre maistrisé, & qui souffre impatiemment qu'on veuille prendre empire sur luy, & agir souverainement à son égard, en luy imposant des loix absoluës sans luy en faire connoistre les motifs & les raisons. Cette espece de soumission aveugle qu'il croit qu'on exige de luy a quelque chose qui le choque & qui le revolte ; & il est au contraire flatté