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devoir commencer par la représenter dans une de ces grandes et populeuses capitales, centres de civilisation ; et Paris nous fournira plus de matière qu’il n’en faudrait pour glacer le sang dans les veines de toutes les personnes qui ont reçu de la nature la faculté de comprendre le malheur d’une position pénible.

C’est donc de Paris que nous parlerons d’abord ; de ce Paris qui, depuis si long-temps, a obtenu un renom européen pour l’affabilité de ses habitans ; et nos paroles de blâme auront d’autant plus de force, que, jusqu’ici, aucune autre ville n’a pu rivaliser avec lui.

Si, parfois, nous entrons dans des détails qui pourront paraître minutieux, c’est que tous les petits désagrémens forment des peines véritables, et d’autant plus cuisantes, qu’elles se renouvellent à chaque instant de la vie.

L’Étrangère qui monte en voiture à la frontière, pendant les trois ou quatre jours qu’elle mettra à parcourir l’espace qui la sépare de la capitale, aura déjà eu à souffrir mille dégoûts, mille manques d’hospitalité, et même de politesse. Au lieu de trouver, dans ses compagnons de voyage ou dans les diverses hôtelleries où elle aura dû séjourner, les prévenances et les attentions qu’on devrait se faire un devoir de témoigner en toute occasion aux étrangères, elle n’aura rencontré partout qu’égoïsme et curiosité d’une part, et indifférence complète de l’autre. Lorsqu’enfin elle arrive, elle est épuisée de fatigue, souffrante ; et cependant il faut qu’elle s’inquiète pour savoir où elle ira se loger. Elle descend de cette lourde diligence étourdie du bruit qui lui retentit encore dans les oreilles ; et les cris des cochers, des commissionnaires qui se disputent pour porter ses effets, les garçons d’hôtels garnis, qui veulent l’entraîner, malgré elle, dans le bel hôtel de France ou le magnifique d’Angleterre, doivent encore l’étourdir davantage. Aussi tout ce fracas auquel elle n’est pas accoutumée, les personnes affairées ou indifférentes qui tournoient autour d’elle, lui jettent dans l’ame une espèce de frayeur qui l’afflige et lui serre le cœur. Il lui semble que quelque malheur menace déjà sa tête ; sa poitrine se gonfle, ses yeux se remplissent de larmes, et cette exclamation part de son cœur : Mon Dieu ! que deviendrai-je ! moi seule, toute seule dans cette grande ville où je suis étrangère ! Voilà l’effet,