Page:Tristan - Union ouvrière, 1844 (2e édition).pdf/97

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 54 —

peu de ménages d’ouvriers qui soient heureux.) — Le mari ayant reçu plus d’instruction, étant le chef de par la loi, et aussi de par l’argent qu’il apporte dans le ménage[1], se croit (et il l’est de fait) bien supérieur à la femme, qui, elle, n’apporte que le petit sa-

  1. Il est à remarquer que dans tous les métiers exercés par les hommes et les femmes, on paie la journée de l’ouvrière, moitié moins que celle de l’ouvrier, ou, si elle travaille à la tâche, son salaire est moitié moindre. Ne pouvant pas supposer une injustice aussi flagrante, la première pensée qui nous frappe est celle-ci : — À raison de ses forces musculaires, l’homme fait sans doute le double de travail de la femme. Eh bien ! lecteur, il arrive justement le contraire. — Dans tous les métiers où il faut de l’adresse et l’agilité des doigts, les femmes font presque le double d’ouvrage des hommes. — Par exemple, dans l’imprimerie, pour composer (à la vérité elles font beaucoup de fautes, mais cela tient à leur manque d’instruction) ; dans les filatures de coton, fil ou soie, pour rattacher les fils ; en un mot, dans tous les métiers où il faut une certaine légèreté de main, les femmes excellent. — Un imprimeur me disait un jour avec une naïveté tout à fait caractéristique : — « On les paie moitié moins, c’est très juste puisqu’elles vont plus vite que les hommes ; elles gagneraient trop si on les payait le même prix. » — Oui, on les paie, non en raison du travail qu’elles font, mais en raison du peu de dépenses qu’elles font, par suite des privations qu’elles s’imposent. — Ouvriers, vous n’avez pas entrevu les conséquences désastreuses qui résulteraient pour vous d’une semblable injustice faite au détriment de vos mères, de vos sœurs, de vos femmes, de vos filles. — Qu’est-il arrivé ? Que les industriels, voyant les ouvrières travailler plus vite et à moitié prix, congédient chaque jour les ouvriers de leurs ateliers et les remplacent par des ouvrières. — Aussi l’homme se croise les bras et meurt de faim sur le pavé ! — C’est ainsi qu’ont procédé les chefs des manufactures en Angleterre. — Une fois entré dans cette voie, on congédie les femmes pour les remplacer par des enfants de douze ans ; — Économie de la moitié du salaire ! — Enfin on arrive à ne plus occuper que des enfants de sept ou huit ans. — Laissez passer une injustice, vous êtes sûrs qu’elle en engendrera des milliers.