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Ce moyen de distraction aggrave le mal. — La femme qui attend la paye du dimanche pour faire vivre toute la famille pendant la semaine, se désespère en

    leurs droits et aviser aux moyens à prendre pour les faire valoir légalement, les riches seraient plus mécontents que de voir les cabarets pleins.
    Dans l’état actuel des choses, de cabaret est le TEMPLE de l’ouvrier ; c’est le seul lieu où il puisse aller. — L’Église, il n’y croit point ; le théâtre, il n’y comprend rien. — Voilà pourquoi les cabarets sont toujours pleins. — À Paris, les trois quarts des ouvriers n’ont pas même de domicile : ils couchent en garni dans des chambrées ; et ceux qui sont en ménage logent dans des greniers où la place et l’air manquent, par conséquent ils sont forcés d’en sortir, s’ils veulent exercer un peu leurs membres et raviver leurs poumons. — Vous ne voulez pas instruire le peuple, vous lui défendez de se réunir, dans la crainte qu’il s’instruise lui-même, qu’il parle de politique ou de doctrines sociales ; vous ne voulez pas qu’il lise, qu’il écrive, qu’il occupe sa pensée, dans la crainte qu’il ne se révolte !… Mais que voulez-vous donc qu’il fasse ? Si vous lui interdisez tout ce qui est du ressort de l’esprit, il est clair que, pour toute ressource, il ne lui reste que le cabaret. — Pauvres ouvriers ! Accablés de misères, de chagrins de toutes sortes, soit dans le ménage, chez le patron, ou enfin, parce que les travaux répugnants et, forcés auxquels ils sont condamnés, leur irritent tellement le système nerveux, qu’ils en deviennent parfois comme fous ; dans cet état, pour échapper à leurs souffrances, ils n’ont d’autre refuge que le cabaret. — Aussi vont-ils là, boire du vin bleu, médecine exécrable ! — mais qui a la vertu d’étourdir.
    En face de pareils faits, il se rencontre dans le monde des gens dits vertueux, dits religieux, qui, confortablement établis dans leurs maisons, boivent à chaque repas et en abondance du bon vin de Bordeaux, du vieux Chablis, d’excellent Champagne, — et ces gens-là font de belles tartines morales contre l’ivrognerie, la débauche et l’intempérance de la classe ouvrière !….
    Dans le cours des études que j’ai faites sur les ouvriers (depuis dix ans je m’en occupe), jamais je n’ai rencontré d’ivrogne, de vrai débauché, parmi les ouvriers heureux en ménage et jouissant d’une certaine aisance. — Tandis que, parmi ceux qui sont malheu-