Page:Tristan Bernard - Contes de Pantruche.djvu/33

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imposaient mutuellement, et chacun tenait à se hausser dans l’estime de l’autre.

Au moment de payer les consommations : — C’est à moi, s’écria l’un. — Pardon, c’est pour moi, riposta l’autre.

— Voyons, reprit d’Oreste, je n’admettrai pas ça.

— Je vous assure que vous me désobligerez, repartit Pylade.

— Prenez, garçon !

— Non, non ! Tenez, garçon !

Patient, le garçon attendait la fin de cette lutte coutumière, augurant avec satisfaction que le vainqueur ne manquerait pas de saluer sa victoire par un pourboire suffisamment épateur.

II

Deux ans se sont écoulés. La pauvre bande des quatre figurants éhontés, le vieux poncif Hiver, le jeune et équivoque Printemps, le rastaquouère Été, et l’Automne, puant de snobisme élégiaque, ont passé et repassé, comme ils font sans répit, sur la scène du Monde. L’eau qui vient des montagnes, va à la mer, se volatilise et ressert toujours, l’eau économique a coulé sous les ponts. Oreste et Pylade ont appris à se connaître, et ce sont maintenant deux amis, deux vrais.

Ils montent ensemble à bicyclette, plaisantent avec les mêmes dames, empruntent aux mêmes usuriers.

Ils ont le même tailleur, les mêmes rancunes, et dans le même temps que l’un change d’opinion, l’autre jette la sienne au linge sale, jusqu’au jour où ils remettent l’un et l’autre ces opinions pareilles, blanchies par des arguments ou des intérêts nouveaux.

Aussi inséparables que ces messieurs siamois, ils ont un