Page:Tristan Bernard - Contes de Pantruche.djvu/47

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chose me disait que j’allais obtenir un grand succès, et que, dès le début, j’allais me révéler comme un orateur vraiment éloquent et un dialecticien émérite. Et je me voyais, à vingt-deux ans, l’honneur du barreau parisien.

C’est ainsi que dix-huit mois auparavant, au régiment, lorsque j’étais chargé de faire une reconnaissance quelconque, j’espérais déployer dans cette humble mission des qualités intellectuelles d’un tel ordre que tous mes chefs, du sous-officier au commandant de corps, salueraient en moi un tacticien d’avenir.

De même je n’hésitais pas à croire, s’il m’arrivait de me réciter à moi-même une scène de Molière, que, pour peu que je voulusse me donner la peine de monter sur un théâtre, la foule m’acclamerait de ses cris enthousiastes et me porterait en triomphe jusqu’à ma maison.

Mais le jour de l’audience, quand j’entrai dans la sèche et claire petite chambre correctionnelle, j’avais déjà rabattu les neuf dixièmes de mes prétentions et je ne visais plus qu’à éviter le ridicule. Il me sembla que mon coup d’éclat était ajourné à plus tard.

Je m’assis à mon banc et déposai sur un pupitre des notes volumineuses. À propos du vieux vagabond et du canari volé, je m’apprêtais à soutenir la thèse générale de l’irresponsabilité.

Mon client fut introduit au banc des accusés. Il était vêtu d’une houppelande sous laquelle il s’agitait mystérieusement :

— Vous savez, me dit-il à voix basse, je vas me mettre nu.

Je le conjurai de n’en rien faire. Et j’adressai une recommandation au garde, en le priant de veiller sur son prisonnier. Puis, le président, l’interrogatoire de mon client terminé, me donna la parole.

Qui donc a prétendu que les magistrats ne sont pas capables d’attention ! Pendant les vingt bonnes minutes que dura ma plaidoirie, le président, les juges et le substitut, absolument