Page:Tristan Bernard - Contes de Pantruche.djvu/48

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médusés, ne quittèrent pas des yeux un ouvrier maçon qui, de l’autre côté de la fenêtre, travaillait à recrépir la façade. Je soutins des opinions assez subversives, qui passèrent sans que personne criât gare. Quand j’eus terminé mon plaidoyer, le maçon n’avait pas encore fini son travail. Pourtant, après une demi-minute, le président, remarquant tout à coup que je ne parlais plus, retourna la tête et s’apprêta à prononcer son jugement.

Je regardai à ce moment le vagabond, et je le vis prêt à faire un geste inquiétant comme pour retirer sa houppelande. Je lui lançai un tel regard qu’il renonça définitivement à son idée fixe.

Le président marmotta quelques paroles, sortit quelques numéros du Code comme on sort des numéros de loto, et condamna mon client à six mois de prison.

J’hésitai à l’aller voir dans la petite salle d’attente où stationnent les prévenus et les condamnés. Mais il me reçut sans colère, avec une hautaine expression de regret.

— Pourquoi qu’vous m’avez pas laissé mettre tout nu ? Ils ont acquitté la garce. Bien sûr qu’ils m’auraient acquitté aussi, moi !

Un autre détenu, qui se trouvait à côté, me toisa avec mépris.