Page:Tristan Bernard - Contes de Pantruche.djvu/91

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À intervalles réguliers, de grands cris s’élèvent dans la chambre voisine.

Nous attendons deux grandes heures. Parfois, la porte s’entr’ouvre et nous apercevons le médecin en bras de chemise, les manches retroussées. Les cris sont plus rapprochés et plus violents.

La vieille bonne ouvre enfin la porte.

— Un garçon, dit-elle. Et elle ajoute :

— Il est mort.

Je la suis à la cuisine :

— Il est mort, mais est-il né viable ? S’il n’est pas né viable, c’est important pour nous.

— Il ne pouvait pas vivre, dit la vieille femme qui faisait chauffer de l’eau ; il avait le gosier bouché et un nez de cochon.

Je rentre gravement dans la salle à manger et, parlant dans mes dents, je dis à mon frère Adrien : « Il avait le gosier bouché et un nez de cochon. »

Puis je dis de même à mon frère Lambert :

« Pas né viable. Gosier bouché. Nez de cochon. »

Tous deux comprennent, maîtrisent leur joie et inclinent la tête d’un ton grave.

Les gémissements continuent. Même après la délivrance, elle souffre encore, la petite Allemande, pour qui nous avons maintenant une pitié attendrie, et à qui, malgré ses mauvaises intentions, nous ferons certainement une petite rente, pour la récompenser d’avoir mis au monde un enfant aux narines bouchées, avec un groin de cochon.

Les cris redoublent. Ils sont effroyables. « Ah ! la pauvre femme ! » disent ensemble les trois directeurs du Comptoir de la navigation.

Mais quelle est cette autre voix aigre ? Pourquoi la porte