Page:Trobriand - Le rebelle, 1842.djvu/22

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— Par le ciel ! que dites vous ? s’écria Laurent. J’espère que vous ne vous porterez envers lui à aucun acte indigne de vous et de la cause que vous servez !…

L’étranger regarda tranquillement le jeune patriote, et dit entre ses dents, comme s’il se parlait à lui-même : Tous les mêmes, là-bas, ici et partout ! — Puis il ajouta à haute voix :

— Barterèze est très lié avec le bonhomme Mac Daniel. On les voit tous les jours ensemble à Montréal.

— Ah ! fit Laurent dont les sourcils se contractèrent.

Durand parut ne pas s’en apercevoir et continua :

— Barterèze a si bien parlé de vous, de votre discours et de vos actes que l’autre jour, au Sword’s Hotel, le vieux Mac Daniel, après une conversation dont vous fîtes le sujet, jura en forme de péroraison qu’il aimerait mieux avoir le poing coupé que de donner sa fille a un traître tel que vous.

— Il a dit cela ! s’écria Laurent de Hautegarde.

— Il l’a dit, affirma Durand.

— Eh ! bien ! que Dieu lui pardonne tout ce qu’il causera de malheurs !

— Allons ! dit Durand sans s’émouvoir. Vous voilà maintenant rêvant sang et mort ! parbleu, ce n’était pas la peine de tant vous récrier à propos du compte que je dois régler avec le conseiller. C’est une affaire entre lui et moi ; celle-là terminée, les vôtres n’en iront pas pire, croyez-moi.

Sur ce mot, tous deux demeurèrent silencieux, le Français paraissant en proie à des souvenirs douloureux et à des projets sinistres, le Canadien profondément accablé par des nouvelles si fatales aux espérances de son amour. Tout-à-coup, Durand se leva en regardant la pendule :

— Huit heures et demie ! dit-il. Il est temps de partir.

— Ne passerez-vous point la nuit ici ? demanda Laurent.

— Non, répondit-il en riant ; mais sur les chemins sans doute.

— Ce voyage ne peut donc se remettre ?

— Impossible. Avant dix heures je dois être à trois lieues d’ici. Ne seriez-vous pas homme à m’accompagner, si votre présence y pouvait être utile ?

— Si vraiment, mais non pas sans savoir où vous me conduisez.

— Oh ! mon Dieu, je vais vous le dire, fit-il avec insouciance. Le docteur Desbuissons, et monsieur Dennery ont été arrêtés chez eux, et doivent être dirigés cette nuit sur Montréal avec une escorte de volontaires. Il s’agit de les délivrer.

— Ah ! dit Laurent avec étonnement, le gouvernement en est déjà là ! C’est bien, monsieur, je pars avec vous.