Page:Trobriand - Le rebelle, 1842.djvu/21

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— Vous voilà sûr de mes sentiments maintenant, et c’est le principal, reprit-il. Qu’importe en effet mon nom ? C’est une chose insignifiante pour tous, excepté pour moi peut-être. — Permettez moi donc de garder l’incognito même vis-à-vis de vous, et de n’être à vos yeux pas autre chose qu’un patriote répondant au nom de Durand. Je ne vous cacherai point que je suis Français. Mais qu’importe encore ? La lettre que je viens de vous remettre n’est-elle pas une caution suffisante ?

— Certainement, dit Laurent.

— Eh ! bien ! nous voilà parfaitement à l’aise, et si vous le trouvez bon, nous causerons comme de vieux amis.

Laurent de Hautegarde regardait curieusement sa nouvelle connaissance, préoccupé du mystère dont il s’environnait, autant qu’étonné de ses manières si différentes de ce qu’il les avait vues déjà. Mais Durand (quelque fût son véritable nom) ne paraissait point gêné, et il continua tranquillement :

— Vous n’étiez point à l’affaire du 6 ? C’est là qui le Doric-Club a été traité galamment. Vous savez comment cela est arrivé ? Nous avions déjà inscrit plus de deux mille noms sur les registres de notre société des fils de la liberté ; les six sections partageaient la ville et les faubourgs, et se subdivisaient en compagnies obéissant chacune à un capitaine et toutes à un général. Nous faisions régulièrement l’exercice, et la charge en douze temps en attendant mieux, quand il nous prit l’envie de parader en assemblée générale. Les magistrats s’en alarmèrent et défendirent la réunion. Mais pst ! on se soucie bien de la défense de ces messieurs. Le Doric Club vint alors en aide, et se rendit sur les lieux en corps et en armes. Aussi, après quelques préliminaires de vive voix, on en est venu aux arguments ad hominem, et les fils de la liberté ont mené le club si grand train que pour le venger la force militaire s’en vint battre quelques groupes isolés de patriotes qui s’en retournaient, croyant la besogne achevée.

— La presse du Vindicator a été détruite ce jour-là ? demanda Laurent.

— Entièrement. J’ai reçu dans la bagarre quelque chose comme un coup de crosse de fusil, mais que voulez vous ? ce sont là les revenants bon du métier.

— Ainsi, dit Laurent, vous arrivez de Montréal ?

— Aujourd’hui même.

— Barterèze a quitté St. Charles. L’y avez-vous vu ?

— Ah ! dit Durand en changeant subitement de ton ; le jour viendra pour celui-là. Mais comme le vieux sir Malise de Ravenswood, j’attends le moment.