Page:Trobriand - Le rebelle, 1842.djvu/6

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— Et ceux de : À bas l’évêque ! reprit quelqu’un.

— Où cela ? demanda-t-on.

— À Chambly.

— De quoi se mêle le clergé ? interrompit avec hauteur le jeune homme que nous avons déjà entendu nommer. Les choses temporelles ne le regardent point ; qu’a-t-il à faire avec le gouvernement ? Et par quelle audacieuse confusion de pouvoirs, nos prêtres, soutenant la cause d’une religion qui n’est point la nôtre osent-ils prêcher l’obéissance passive à des mesures tyranniques, et lancer anathème contre quiconque résistera aux lois iniques dont nous sommes victimes ?

— On sait pourquoi, dit quelqu’un dans la foule. Le clergé de Montréal est riche, et les propriétaires du Fort des Prêtres redoutent de tomber dans la disgrâce des gouvernans.

— Aussi Monseigneur craint-il plus de perdre ses biens sur la terre que ses ouailles dans le ciel.

— C’est de la charité bien ordonnée.

— L’on verra, dit une voix d’un ton de menace.

En ce moment une rumeur sourde d’abord, puis une immense acclamation éclata dans la foule. Des vociférations ardentes, des huées, des applaudissemens sans fin tourbillonnaient bruyamment sans qu’on distinguât d’abord le sujet de ce grand tumulte. Mais bientôt tous les regards, tous les gestes se dirigèrent vers la partie la plus élevée d’une maison située à l’extrémité du village, et le nom du lord Gosford passa aussitôt de bouche en bouche.

La maison qui fixait à un si haut degré l’attention universelle, était surmontée d’un toit de ferblanc, dont l’inclinaison bilatérale terminait la façade en forme de pignon. Au-dessous du point culminant de cette toiture blanche dont l’éclat fatigant donne une physionomie si particulière aux villes du pays, s’ouvrait une fenêtre surmontée d’une barre de fer saillante. C’était à ce gibet, qu’au bout d’une corde à nœud coulant, se balançait d’une façon à la fois burlesque et sinistre l’effigie du gouverneur-général des Canadas pour sa majesté la reine d’Angleterre.

Cette lugubre parodie d’une exécution publique eut un effet direct sur les masses, comme tous les actes qui ouvrent brusquement les digues aux passions populaires. Le peuple, en effet, toujours impatient du joug, obéit en rongeant son frein à l’empire des lois établies, mais aussitôt qu’une commotion quelconque en vient ébranler la puissance, sa haine du pouvoir éclate en actes violens et en réactions terribles. Comme toutes les forces matérielles qui demeurent inertes alors que leur manque un principe moteur ou un concours de circonstances favorables à leur développement, la force brutale des masses ne se fait sentir que mue par un principe intellectuel. Toutes les sociétés