Page:Trobriand - Le rebelle, 1842.djvu/7

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humaines ont tourné sur ce pivot, et les révolutions même les plus sanglantes ont toujours été le résultat d’un grand mouvement moral. Que l’esprit humain marche dans une perfectibilité désirable ou qu’il tourne sans fin dans un cercle vicieux, toujours est-il qu’il subit continuellement de nouvelles transformations et se reproduit sous diverses formes ; aussi, lorsque l’état politique ou social n’est plus en rapport avec ce mouvement continu, devient-il nécessaire de le changer. Voilà l’ordre providentiel que ne peuvent arrêter ni la tyrannie des armées, ni les digues croulantes des traditions d’un autre âge.

En 1837, les symptômes précurseurs de ces commotions se faisaient sentir avec force parmi les populations canadiennes. La politique égoïste et oppressive du gouvernement britannique portait enfin ses fruits, et la patience d’un peuple encore imbu des principes d’obéissance religieuse et civile, commençait pourtant à manifester énergiquement sa lassitude. Depuis le traité du 10 février 1763, le peuple canadien, devenu Anglais du fait de son gouvernement, était resté Français de mœurs, de caractère, de langage, de religion. Il s’était endormi dans la sécurité des garanties offertes par le traité même qui lui assurait ces avantages, et des promesses émanées du cabinet de St. James en 1764, 1775 et 1812. Plein de cette confiance crédule, le Canada refusa de s’associer à la glorieuse révolution qui fonda à jamais l’indépendance des États-Unis d’Amérique. Plus tard, demeuré en arrière des grandes innovations intellectuelles qui avaient ébranlé tout l’ancien monde sur ses bases et éclairé l’aurore politique d’un nouvel hémisphère, il prit les armes contre des principes qu’il ne comprenait pas encore, et enveloppé des langes du passé, il ferma les yeux aux lumières de l’avenir. Mais la marche progressive des esprits, rallentie par le manque d’éducation suffisante et les idées erronées de vieille science gouvernementale, arriva néanmoins enfin au discernement des droits et des devoirs. Quelques pétitions, appuyées d’abord auprès du gouvernement local, parvinrent jusqu’à la métropole qui répondit par des promesses sans effet. Des réclamations plus impérieuses motivèrent ensuite des refus péremptoires et jetèrent dans les esprits des germes qu’il ne serait plus tems d’étouffer désormais, et qui, dès l’époque où nous prenons cette histoire, avaient déjà produit leurs manifestations sanglantes. Les sujets de mécontentement s’étaient multipliés successivement sous l’administration impopulaire des Murray, des Haldimand, des Craig, des Dalhousie et des Aylmer. Les vices de ces administrations et la corruption dont on accusait les employés avaient déterminé les représentans du pays à recourir au seul remède constitutionnel : le refus des subsides ; mais alors on avait puisé dans la caisse militaire pour subvenir aux dépenses les plus pressantes. Depuis nombre d’années, les usurpations du gouverne-