Page:Trollope - La Pupille.djvu/243

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son s’approcha de M. Jenkins, et, lui prenant le bras, elle lui dit d’un air aimable :

« Serez-vous assez bon pour me conduire dans la salle à manger ?

— Non, ma chère, répondit sans cérémonie l’étranger : vous devez prendre le bras de sir Charles, M. Wilkins conduira mistress Heathcote, le major peut offrir la main à cette miss Wilkins qui est auprès de vous et me paraît être l’aînée de la bande, et les deux plus jeunes sœurs chercheront à amuser, comme elles pourront, la jolie Florence ; quant à moi, j’ai trouvé un charmant compagnon, et je le garde. »

Cette espèce de leçon exaspéra fort Sophie, qui se sentit sur le point de répondre quelque impertinence à celui qui se mêlait de commander chez elle ; mais elle se contint, sourit avec effort, et se décida à ouvrir la marche au bras de sir Charles, quoique assez choquée de cette tirade débitée à haute voix. Chacun prit le rang et la place que M. Jenkins avait désignés, et le dîner commença. Jamais partie de plaisir n’avait été aussi triste. Le major ne put obtenir un seul mot de miss Elfreda, qui était encore suffoquée de ce qu’elle appelait les manières libres et de mauvais goût de M. Jenkins. Sir Charles se désolait d’être si loin de Florence, qu’il pouvait à peine l’entrevoir. Quant à la charmante fille, elle se consolait de cette contrariété en pensant au joli goûter composé de groseilles cueillies par elle à Temple-Bar avec sir Charles et Algernon, et dont le baronnet lui avait fait les honneurs dans le pavillon de plaisance. À côté d’elle les deux jeunes miss Wilkins chuchotaient et critiquaient tout, à commencer par leur jolie voisine, Florence Heathcote. La bonne mistress Heathcote regrettait que sir Charles fût placé si loin de sa fille : elle devinait bien que cela les attristait l’un et l’autre. Pour M. Wilkins, il buvait et mangeait sans