Page:Trollope - La Pupille.djvu/30

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était gros en proportion de cette taille phénoménale. En vous disant que son esprit correspondait à sa grosseur, n’allez pas croire que j’entende qu’il était sublime ; je veux dire simplement que, s’il était lourd de corps, il l’était aussi d’esprit. Mais ce défaut engendrait chez lui une qualité qu’il possédait au plus haut degré : il n’avait aucune passion, excepté celle du porto et de la bière trop forte, dont il buvait, sans se griser, de quoi assassiner trois hommes ordinaires.

Le squire Wilkyns aimait beaucoup ses filles ; mais ses affections n’étaient pas plus vives que ses idées, que son intelligence et que lui-même. Pour éprouver la même angoisse qu’un père tendre en voyant sa fille trop près du feu, il aurait fallu que M. Wilkyns vît ses trois enfants enveloppés de flammes : cela aurait peut-être suffi pour lui faire appeler du secours. Du reste, s’il n’avait pas d’amis dévoués, il n’avait pas non plus d’ennemis, et, s’il n’avait aucune affection, il n’avait pas de haine.

L’une de ses filles était assez jolie, l’autre assez laide, et la dernière entre les deux ; enfin elles étaient si ordinaires qu’il est inutile d’entrer dans aucun détail. Elles savaient parfaitement qu’à la mort de leur père elles auraient chacune cinq cents livres sterling par an, et qu’avec cela une jeune fille était très-riche dans le pays de Galles. Elles savaient encore qu’elles pouvaient dépenser cent cinquante livres pour leur toilette : aussi étaient-elles très-élégantes et se croyaient-elles les femmes les plus charmantes de leur province.

L’annonce du dîner les suivit de si près au salon qu’il n’y eut pas de présentation ; mais, comme elles connaissaient très-bien le motif de leur visite, elles saluèrent, en souriant agréablement, leur oncle et sir Temple.

À ces mots : « Le dîner est servi, » M. Thorpe offrit vivement son bras à mistress Heathcote, et passant près