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Page:Trollope - Les Bertram, volume 2.djvu/206

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Puis il se demanda si, de son côté, il désirait aussi la revoir. Il s’était dit cent fois qu’il l’aimait, qu’il l’aimait comme jamais il ne l’avait aimée quand elle devait lui appartenir. Il s’était dit, plus souvent encore, qu’il ne goûterait de repos que lorsqu’elle aurait cessé d’être l’objet principal de ses pensées. Il savait à merveille qu’il ferait mieux de ne jamais la revoir ; mais, après avoir passé deux heures à débattre la question avec lui-même, il finit par écrire à sir Henry qu’il l’attendrait à l’heure dite. À partir de ce moment, il cessa tout effort salutaire ; le travail fut abandonné, et il ne resta rien de tout le progrès qu’il avait déjà accompli dans le bien.

Sir Henry fut exact au rendez-vous. Quel que fût son but, il le poursuivait toujours avec énergie. Ses devoirs étaient variés et incessants ; les heures n’étaient plus assez nombreuses pour lui, et les jours lui semblaient trop courts ; les exigences de ses clients et celles de la politique, jointes à tout ce que réclame le monde à l’égard de ceux qui occupent de brillantes positions, lui laissaient à peine le temps de dormir ; mais pourtant il lui fallait à tout prix revoir le rival malheureux qui l’eût si volontiers laissé à ses joies et à ses splendeurs ! Ces choses-là, du reste, n’ont-elles pas été expliquées il y a bien longtemps, avant même que le christianisme fût en honneur ? « Quos Deus vult perdere, prius dementat. » Ceux que Dieu veut perdre, il commence par les priver de raison.

Rien ne put égaler l’amitié doucereuse et les façons séduisantes que déploya sir Henry à l’égard de George.