Page:Trollope - Les Bertram, volume 2.djvu/261

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— Qui donc nous a rapprochés ?

— Moi ; car je comptais sur votre jugement et votre respect des convenances.

— Je ne désirais pas le revoir. Je ne l’ai pas invité à venir. Je serais volontiers restée seule chez moi pendant des mois entiers, plutôt que de me retrouver avec lui.

— Quelle absurdité ! pourquoi deviez-vous tant craindre de le revoir ?

— Parce que je l’aime.

En disant cela, elle le regardait toujours en plein visage, sans crainte — on pourrait dire avec hardiesse — et sir Henry avait peine à soutenir son regard. Sur un point, du moins, elle avait pris sa résolution : elle s’était promis que, quoi qu’il pût arriver, elle ne se courberait jamais devant lui.

Mais, peu à peu, il s’amassa sur le front de sir Henry un sombre nuage qui aurait bien pu la faire trembler, si elle eût été moins brave. Il était venu avec l’intention bien arrêtée de ne pas se quereller avec sa femme. Une brouille complète n’était point son affaire ; elle eût dérangé tous ses projets à l’égard de monsieur Bertram de Hadley. Mais il pouvait se faire, malgré sa résolution, qu’il lui devînt impossible de ne pas s’emporter. C’était un homme, après tout, que sir Henry : il avait du sang dans les veines et tous les sentiments humains. Il n’aurait pas demandé mieux que d’aimer cette femme à sa manière, si elle avait voulu se laisser aimer, et aimer à son tour. On peut même dire qu’il l’avait aimée ; et lorsqu’il la croyait destinée à