Aller au contenu

Page:Trollope - Les Bertram, volume 2.djvu/440

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

travail auquel il pût se rattacher. Il demeura insensible, regardant le foyer, jusqu’à ce que les minutes lui parussent d’une longueur insupportable. Au bout d’un certain temps, il en arriva à sentir que sa souffrance était moins le résultat de ses espérances détruites et de sa fortune perdue que du poids insoutenable de l’heure présente.

Comment secouer cette sensation ? comment vaincre l’oppression qui le tenait ? Il étendit la main et prit un journal qui était sur la table. Il tâcha de lire, mais son intelligence ne répondit pas à l’appel. Il ne pouvait se rappeler le discours du très-honorable membre, ni l’article de journal si habile où le discours avait été discuté. Il voyait bien les mots, mais sa pensée lui rappelait sans relâche l’injustice de ce testament, les torts de sa femme, l’imperturbable sérénité de George Bertram, et ces amis faux et changeants qui l’avaient courtisé dans la prospérité, et qui aujourd’hui l’abandonnaient sans remords.

Il laissa tomber à terre le journal, et de nouveau le sentiment de la solitude et de l’immobilité du temps l’écrasa comme si des milliers de tonnes de plomb eussent pesé sur lui. Il se leva vivement et se mit à parcourir la chambre en tous sens ; mais elle était trop étroite pour lui ; l’espace lui manquait. Il prit son chapeau et sortit, C’était une belle soirée du mois de mai et le crépuscule durait encore, bien que l’heure fût avancée… Il fit trois fois le tour du square sans entendre le bruit des voitures, sans voir l’éclat des lumières qui illuminaient les réunions joyeuses de ses voisins.