Page:Trollope - Les Bertram, volume 2.djvu/77

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semble, si j’ose le dire, que vous êtes à l’abri de toutes les influences.

— Vraiment ! comme les imbéciles alors ? dit-elle en riant.

— Non, mais comme pourrait l’être un rocher. Je ne dis pas comme un rocher de glace, — la glace finit toujours par fondre et céder.

— Et moi, monsieur Bertram, suis-je donc toujours froide et dure ? Ce qui vous a rendu si malheureux, n’en ai-je pas été affligée, moi aussi ? Pensez-vous, qu’aimant Caroline comme je l’aime, je puisse ne pas être triste et malheureuse ? J’ai eu du chagrin aussi et j’ai bien pleuré. Je ne suis pas de pierre, comme vous semblez le croire.

En parlant ainsi, Adela déployait un certain artifice ; afin de mettre ses propres sentiments à l’abri de toute investigation, elle dirigeait le courant de la conversation de façon à le faire passer tout au travers du cœur de son interlocuteur.

— Sur qui versez-vous des larmes ? Pour lequel de nous deux pleurez-vous ? demanda-t-il.

— Pour tous les deux. Je pleure de ce que, pouvant être si heureux ensemble, vous ayez consenti, l’un et l’autre, à repousser le bonheur.

— Elle sera heureuse. Vous ne me croirez pas peut-être, mais c’est cette pensée qui me console.

— J’espère qu’elle sera heureuse, je l’espère tant ! Mais, grand Dieu ! quel risque ! Si elle allait ne pas être heureuse. Si elle découvrait, — lorsqu’il sera trop tard, — qu’elle ne peut pas l’aimer !