pouvait le croire, mais quel que fût son mobile, il posait ses jalons pour l’immortalité, et c’est nous qui la lui décernons.
Sainte-Beuve, plaidant les circonstances atténuantes en faveur du poète des Fleurs du mal, le présentait ainsi à ses collègues de l’Institut « Ce qui est certain, c’est que M. Baudelaire gagne à être vu, que là où l’on s’attendait à voir entrer un homme étrange, excentrique, on se trouve en présence d’un candidat poli, respectueux, exemplaire, d’un gentil garçon, fin de langage et tout à fait classique dans les formes. » Il l’était aussi dans ses œuvres, quand on les relit de sang-froid et sans prévention, sans parti pris, auxquels les querelles d’école ne donnent plus lieu, depuis qu’il est devenu un ancêtre. Il tenait même de la tradition classique cette précaution obligatoire, dont on se dispense trop aujourd’hui, de châtier le vice. Il ne l’exposait pas crûment c’était un parfait moraliste, dans ses peintures de mœurs les plus scrutées et les plus fouillées. On s’étonne que les éditions de ses œuvres paraissent toujours expurgées, à moins que ce ne soit pour rendre la première édition du livre condamné plus rare et plus chère.
Sainte-Beuve, qui retrouvait un fils de Josephe Delorme en Baudelaire et qui l’appelait « mon cher enfant », ne lui épargnait pas les conseils. On a de lui, dans les Causeries du Lundi, une lettre, écrite dès 1857, avant les poursuites, où il lui disait : Vous vous défiez trop de la passion c’est chez vous une théorie. Vous accordez trop à l’esprit, à la combinaison. Laissez-vous faire, ne craignez pas tant de sentir comme les autres, n’ayez jamais peur d’être trop commun vous aurez toujours assez, dans votre finesse d’expression, de quoi vous distinguer. Baudelaire justifiait cette prédilection pour l’esprit, dans une lettre qu’il me faisait l’honneur de m’écrire de Bruxelles, en 1866 « …J’ai été très heureux d’apprendre le rétablissement de Sainte-Beuve. Je n’ai éprouvé d’émotion de ce genre pour la santé d’autrui que pour Eugène Delacroix,