Le poète se créait ainsi à lui-même une légende préjudiciable à son nom et à ses intérêts de gloire et de fortune. Il était son propre bourreau dans sa vie comme dans ses œuvres, et il poussait le dédain de la vie matérielle jusqu’à écrire le sonnet humoristique et si travaillé, où se révèle, dans un tableau de danse macabre, toute la philosophie de l’artiste revenu des choses de ce monde
Dans une terre grasse et pleine d’escargots,
Je veux creuser moi-même une fosse profonde,
Où je puisse à loisir étaler mes vieux os
Et dormir dans l’oubli comme un requin dans l’onde.
Je hais les testaments et je hais les tombeaux ;
Plutôt que d’implorer une larme du monde,
Vivant, j’aimerais mieux inviter les corbeaux
À saigner tous les bouts de ma carcasse immonde.
Ô vers noirs, compagnons sans oreille et sans yeux,
Voyez venir à vous un mort libre et joyeux !
Philosophes viveurs, fils de la pourriture,
À travers ma ruine allez donc sans remords,
Et dites-moi s’il est encor quelque torture
Pour ce vieux corps sans âme et mort parmi les morts !
Et qu’on ne fasse plus la part du poète et du penseur chez les ciseleurs de vers ! On vient de voir que la forme ne l’emporte pas sur le fond de l’idée, et qu’elle la met au contraire à nu, en un relief puissant, avec tout le désabusement qu’elle comporte !
Je ne sais, après ce vers :
Je hais les testaments et je hais les tombeaux,
comment il prendrait le démenti que nous lui donnons en ce jour à lui-même. Peut-être se croirait-il, dans le premier moment, mystifié. Quand on lègue à la postérité un livre de forme presque impeccable, comme il qualifie Théophile Gautier dans la dédicace des Fleurs du mal, on comprend que le poète haïsse les testaments homologués…