Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/111

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par Turgot. Mais il restait à les faire adopter par le Parlement. Après un mois de négociations infructueuses, où Louis XVI eut à essuyer, de la part de ce corps, des remontrances qui lui firent dire : « Il n’y a que M. Turgot et moi qui aimions le peuple », il fallut se résoudre à tenir un lit de justice[1].

On assure que le Parlement avait inséré cette phrase dans ses remontrances : « Le peuple de France est taillable et corvéable à volonté. C’est une partie de la constitution, que le roi est dans l’impuissance de changer[2]. » Le langage de ce corps ne fut pas aussi maladroit dans la séance royale indiquée pour le 12 mars, et à laquelle assistèrent les princes du sang, tous les pairs laïques et ecclésiastiques, et les grands officiers de la couronne. La cour protesta, au contraire, de son amour du bien public, de sa sollicitude pour le bonheur du peuple ; mais la théorie constitutionnelle et financière qu’on lui attribue n’en perça pas moins, à chaque instant, dans les paroles de l’avocat-général Séguier, son interprète ; et l’on peut dire que tout ce que la doctrine perdit en brutalité dans la bouche du magistrat-littérateur[3], elle le regagna largement en ridicule.

Turgot proposait de substituer à la corvée une contribution territoriale, dont le maximum ne devait pas excéder dix millions. Il avait consenti, pour ne pas se faire, suivant son expression, deux querelles à la fois, à en affranchir les biens du clergé ; et le préambule de la loi, en flétrissant un abus dont l’origine était récente, développait tous les avantages que l’État gagnerait à sa disparition.

À tout cela, savez-vous ce que répond l’avocat-général ? « Que cette contribution confondra la noblesse, qui est le plus ferme appui du trône, et le clergé, ministre sacré des autels,

  1. Les magistrats n’enregistrèrent librement, le 9 février 1776, que la loi qui supprimait la Caisse de Poissy. Leur résistance à l’égard des autres était encouragée par le prince de Conti, homme violent et sans mœurs, que Turgot réputait le principal provocateur de la sédition de 1775.
  2. Nous ne connaissons pas le texte des remontrances ; mais Soulavie, qui ne ménage ni le clergé, ni la noblesse, ni les encyclopédistes, ni les économistes, ni les parlements, n’allègue pas que ce dernier corps ait professé l’égoïsme d’une façon aussi brutale.
  3. M. Séguier était membre de l’Académie française.