Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/112

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avec le reste du peuple, qui n’a droit de se plaindre de la corvée que parce que chaque jour doit lui rapporter le fruit de son travail, pour sa nourriture et celle de ses enfants. »

Puisque le peuple a le droit de se procurer sa subsistance de chaque jour par le travail, on croira, sans doute, que l’orateur parlementaire va conclure à l’adoption de l’édit abolitif de la corvée ? — Nullement. — Il objecte que, les chemins étant d’une utilité générale, tous les sujets du roi doivent y contribuer également, les uns avec de l’argent, les autres par leur travail. Mais il oublie d’expliquer, par exemple, comment les sujets du roi, qui ont besoin de leur travail de chaque jour pour vivre, subsisteront pendant le temps qu’ils se livreront, pour le compte de l’État, à un travail que l’État ne payera pas. Il reconnaît, ensuite, que le moyen qu’il vient d’indiquer est peut-être impraticable, et il propose de doubler la solde de l’armée, pour l’employer aux grandes routes, à deux reprises différentes, quinze jours au printemps, quinze jours en automne[1].

C’est à l’aide d’une logique aussi puissante que l’avocat-général repoussa, l’un après l’autre, l’édit sur les jurandes, celui sur la police des grains, etc. ; et qu’à propos du premier, il se livra à une apologie du système réglementaire où l’on peut lire, contre la libre concurrence, toutes les invectives qu’on lui prodigue de nos jours.

Ainsi, M. Séguier s’écriait : « Le but qu’on a proposé à V. M. est d’étendre et de multiplier le commerce en le délivrant des gênes, des entraves, des prohibitions introduites, dit-on, par le régime réglementaire. Nous osons, sire, avancer à V. M. la proposition diamétralement contraire ; ce sont ces gênes, ces entraves, ces prohibitions qui font la gloire, la sûreté, l’immensité du commerce de la France. C’est peu d’avancer cette proposition, nous devons la démontrer. »

L’avocat-général ne démontre pas, mais il ajoute : « Chaque fabricant, chaque artiste, chaque ouvrier se regardera comme

  1. Voyez Procès-verbal du lit de justice du 12 mars 1776, tome II, pages 328 et 329.