Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/113

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un être isolé, dépendant de lui seul et libre de donner dans tous les écarts d’une imagination souvent déréglée ; toute subordination sera détruite ; il n’y aura plus ni poids ni mesure ; la soif du gain animera tous les ateliers, et, comme l’honnêteté n’est pas toujours la voie la plus sûre pour arriver à la fortune, le public entier, les nationaux comme les étrangers, seront toujours la dupe des moyens secrets préparés avec art pour les aveugler et les séduire. » Il n’est pas de maux, selon lui, que ne doive produire l’abolition des jurandes : elle fera passer à l’étranger les ouvriers les plus habiles du royaume ; elle ruinera le crédit et diminuera les salaires ; elle portera un coup funeste à l’agriculture en dépeuplant les campagnes ; elle fera renchérir les denrées dans les villes, y produira la disette, et ne permettra plus d’y maintenir l’ordre, etc., etc.. Cependant, l’orateur ne disconvient pas que l’existence des communautés ne présente quelques abus ; il déclare ne pas s’opposer à ce qu’on corrige ces imperfections, et prend même à cet égard l’initiative en ces termes : « Qu’est-il nécessaire, par exemple, que les bouquetières fassent un corps assujetti à des règlements ? Qu’est-il besoin de statuts pour vendre des fleurs et en former un bouquet ? La liberté ne doit-elle pas être l’essence de cette profession ? Où serait le mal quand on supprimerait les fruitières ? Ne doit-il pas être libre à toute personne de vendre les denrées de toute espèce qui ont toujours formé le premier aliment de l’humanité ? …. Il en est enfin (des communautés) où l’on devrait admettre les femmes à la maîtrise, telles que les brodeuses, les marchandes de modes, les coiffeuses ; ce serait préparer un asile à la vertu, que le besoin conduit souvent au désordre et au libertinage[1]. »

Voilà tout ce que le Parlement savait répondre à l’homme d’État qui, dans le beau préambule de l’édit sur les jurandes, motivait en ces termes l’abolition d’une des injustices les plus révoltantes consacrées par la loi :

« Dieu, en donnant à l’homme des besoins, en lui rendant

  1. Procès-verbal du lit de justice du 12 mars 1776, tome II, page 356. — Celle dernière phrase était une sorte de plagiat des belles paroles de Turgot, que nous