Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/161

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furent pas seulement les propriétaires des terres qui accumulèrent ainsi de leur superflu. Quoique les profits de l’industrie ne soient pas, comme les revenus de la terre, un don de la nature[1], et que l’homme industrieux ne retire de son travail que le prix que lui en donne celui qui lui paye son salaire ; quoique ce dernier économise le plus qu’il peut sur ce salaire, et que la concurrence oblige l’homme industrieux à se contenter d’un prix moindre qu’il ne voudrait, il est certain cependant que cette concurrence n’a jamais été assez nombreuse, assez animée dans tous les genres de travaux pour qu’un homme plus adroit, plus actif, et surtout plus économe que les autres pour sa consommation personnelle, n’ait pu, dans tous les temps, gagner un peu plus qu’il ne faut pour le faire subsister lui et sa famille, et réserver ce surplus pour s’en faire un petit pécule[2].

§ LIII. — Les richesses mobiliaires sont un préalable indispensable pour tous les travaux lucratifs.

Il est même nécessaire que, dans chaque métier, les ouvriers ou les entrepreneurs qui les font travailler aient un certain fonds de richesses mobiliaires amassées d’avance. Nous sommes encore ici obligés de revenir sur nos pas pour rappeler plusieurs choses qui n’ont été d’abord qu’indiquées en passant, quand on a parlé du partage des différentes professions et des différents moyens par lesquels les propriétaires peuvent faire valoir leurs fonds, parce qu’alors on n’aurait pu les bien expliquer sans interrompre le fil des idées.

  1. Il est clair que Turgot ne veut pas dire que tous les revenus de la terre soient un don de la nature. La terre donne naturellement très-peu ; il faut la forcer à produire. Il y a longtemps que les dons de la terre ne sont plus gratuits. Cela remonte à l’expulsion d’Adam du paradis terrestre. — M. Rossi a parfaitement expliqué ce qu’il faut entendre par don naturel de la terre, comparé au produit du travail. C’est sur cette différence qu’est basée la théorie de Ricardo, dont on trouve les bases dans les physiocrates. (Hte D.)
  2. L’avantage principal de l’or et de l’argent pour la formation des capitaux a été de favoriser les plus petites économies, et de les capitaliser de façon qu’elles devinssent au bout d’un certain temps applicables à des acquisitions de meubles et de vêtements d’un usage durable, ou même à solder des travaux utiles. — Avant l’introduction de ces métaux dans le commerce, un homme ne pouvait se former de capital que par la multiplication de ses bestiaux, ou l’emploi de son travail qui n’était pas absolument nécessaire à sa subsistance, à se fabriquer des choses durables qui fussent à son usage, ou qui pussent être vendues. (Note de Dupont de Nemours.)