Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/174

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

cile de multiplier et de diviser les payements autant qu’il est nécessaire pour faciliter et multiplier les échanges au point où l’exigent un commerce et une circulation animée. La seule culture des terres pouvait se soutenir un peu, parce que les bestiaux sont le principal objet des avances qu’elle exige ; encore est-il probable qu’il n’y avait alors d’autre entrepreneur de culture que le propriétaire. Quant aux arts de toute espèce, ils n’ont pu être que dans la plus extrême langueur avant l’introduction de l’argent. Ils se bornaient aux ouvrages les plus grossiers, dont les propriétaires faisaient les avances en nourrissant les ouvriers et leur fournissant les matières, ou qu’ils faisaient faire chez eux par leurs domestiques.

§ LXXI. — Les capitaux étant aussi nécessaires à toutes les entreprises que le travail et l’industrie, l’homme industrieux partage volontiers les profits de son entreprise avec le capitaliste qui lui fournit les fonds dont il a besoin.

Puisque les capitaux sont la base indispensable de toute entreprise, puisque l’argent est un moyen principal pour économiser de petits gains, amasser des profits et s’enrichir, ceux qui avec l’industrie et l’ardeur du travail n’ont point de capitaux, ou n’en ont point assez pour les entreprises qu’ils veulent former, n’ont pas de peine à se résoudre à céder aux possesseurs de capitaux ou d’argent qui veulent le leur confier une portion des profits qu’ils espèrent recueillir outre la rentrée de leurs avances.

§ LXXII. — Cinquième emploi des capitaux : le prêt à intérêt. Nature du prêt.

Les possesseurs d’argent balancent le risque que leur capital peut courir, si l’entreprise ne réussit pas, avec l’avantage de jouir sans travail d’un profit certain, et se règlent là-dessus pour exiger plus ou moins de profit ou d’intérêt de leur argent, ou pour consentir à le prêter moyennant l’intérêt que leur offre l’emprunteur. Voilà encore un débouché ouvert au possesseur d’argent : car il ne faut pas s’y méprendre, le prêt à intérêt n’est exactement qu’un commerce dans lequel le prêteur est un homme qui vend l’usage de son argent, et l’emprunteur un homme qui l’achète, précisément comme le propriétaire d’une terre et son fermier vendent et achètent respectivement l’usage du fonds de terre affermé.

C’est ce qu’exprimait parfaitement le nom que les Latins donnaient à l’intérêt de l’argent prêté, usura pecumœ mot dont la traduction française est devenue odieuse par les suites des fausses idées qu’on s’est faites sur l’intérêt de l’argent.