Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/224

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industrie, et il suppose nécessairement un échange à terme prévu, fixé d’avance ; car si les billets étaient payables à vue, le marchand ne pourrait jamais faire valoir l’argent qu’il emprunterait. Aussi est-il contradictoire qu’un billet à vue porte intérêt, et un pareil crédit ne saurait passer les fonds de celui qui emprunte. Ainsi le gain que fait le négociant par son crédit, et qu’on prétend être décuple de celui qu’il ferait avec ses seuls fonds, vient uniquement de son industrie ; c’est un profit qu’il tire de l’argent qui passe entre ses mains au moyen de la confiance que donne son exactitude à le restituer, et il est ridicule d’en conclure, comme je crois l’avoir lu dans Dutot, qu’il puisse faire des billets pour dix fois autant d’argent ou de valeurs qu’il en possède.

Remarquez que le roi ne tire point d’intérêt de l’argent qu’il emprunte : il en a besoin ou pour payer ses dettes, ou pour les dépenses de l’État ; il ne peut par conséquent restituer qu’en prenant sur ses fonds, et dès lors il se ruine s’il emprunte plus qu’il n’a. Son crédit ressemble à celui du clergé. En un mot tout crédit est un emprunt et a un rapport essentiel à son remboursement. Le marchand peut emprunter plus qu’il n’a, parce que ce n’est pas sur ce qu’il a qu’il paye et les intérêts et le capital, mais sur les marchandises qu’il achète avec de l’argent qu’on lui a prêté, qui bien loin de dépérir entre ses mains y augmentent de prix par son industrie.

L’État, le roi, le clergé, les États d’une province, dont les besoins absorbent les emprunts, se ruinent nécessairement si leur revenu n’est pas suffisant pour payer tous les ans, outre les dépenses courantes, les intérêts et une partie du capital de ce qu’ils ont emprunté dans le temps des besoins extraordinaires.

L’abbé Terrasson pense bien différemment. Selon lui, « le roi peut passer de beaucoup la proportion du décuple à laquelle les négociants, les particuliers sont fixés. Le billet d’un négociant, dit-il, pouvant être refusé dans le commerce, ne circule pas comme l’argent, et par conséquent revient bientôt à sa source ; son auteur se trouve obligé de payer, et se trouve privé du bénéfice du crédit. Il n’en est pas de même du roi : tout le monde étant obligé d’accepter son billet, et ce billet circulant comme l’argent, il paye valablement avec sa promesse même. » Cette doctrine est manifestement une illusion.

Si le billet vaut de l’argent, pourquoi promettre de payer ? Si