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II. — Objet et plan de ce Mémoire.

L’objet du présent Mémoire est de mettre sous les yeux du Conseil un récit de ce qui s’est passé à Angoulême, des manœuvres qui ont été pratiquées et des suites qu’elles ont eues. Ce récit fera sentir les inconvénients qui en résultent, et la nécessité d’y apporter un prompt remède.

Pour y parvenir, on essayera d’exposer les principes d’après lesquels on croit que cette affaire doit être envisagée, et d’indiquer les moyens qui paraissent les plus propres à ramener le calme parmi les négociants d’Angoulême, et à garantir dans la suite le commerce, tant de cette ville que des autres places du royaume, d’un genre de vexation aussi funeste.

III. — Idée générale du commerce d’Angoulême.

Pour donner une idée juste de la manœuvre des dénonciateurs de faits d’usure, pour en faire connaître l’origine, et mettre en état d’apprécier les effets qu’elle a dû produire, il est nécessaire d’entrer dans quelques détails sur la nature du commerce d’Angoulême, et des négociations qui s’y sont faites depuis quelques années.

La ville d’Angoulême, par sa situation sur la Charente, dans le point du cours de cette rivière où elle commence à être navigable, semblerait devoir être très-commerçante : elle l’est cependant assez peu. Il est probable qu’une des principales causes qui se sont opposées au progrès de son commerce, est la facilité que toute famille un peu aisée trouve à y acquérir la noblesse en parvenant à la mairie. H résulte de là que, dès qu’un homme a fait fortune par le commerce, il s’empresse de le quitter pour devenir noble. Les capitaux qu’il avait acquis sont bientôt dissipés dans la vie oisive attachée à son nouvel état, ou du moins, ils sont entièrement perdus pour le commerce. Le peu qui s’en fait est donc tout entier entre les mains de gens presque sans fortune, qui ne peuvent former que des entreprises bornées faute de capitaux, qui sont presque toujours réduits à faire rouler leur commerce sur l’emprunt, et qui ne peuvent emprunter qu’à très-gros intérêts, tant à cause de la rareté effective de l’argent, qu’à cause du peu de sûreté qu’ils peuvent offrir aux prêteurs.

Le commerce d’Angoulême se réduit à peu près à trois branches principales : la fabrication des papiers, le commerce des eaux-de-vie.