Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/24

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la déterminer ; enfin, qu’il suffit à un peuple de posséder une quantité suffisante de signes pour ne manquer jamais de toutes les choses nécessaires aux besoins de la vie. De ces prémisses amenées avec beaucoup de talent, il tire la conséquence que le papier est ce qu’il y a dans le monde de plus propre à devenir monnaie. Il développe les bienfaits sans nombre qu’entraînerait la réalisation de cette idée, et insiste particulièrement sur ces deux points, que le prince serait toujours en état de prêter du numéraire à ses sujets et pourrait même, un jour, les exempter de toute espèce d’impôt. Dans ce cas, le crédit deviendrait l’unique trésor du monarque ; il n’y aurait plus d’embarras de finances, plus de mesures oppressives du commerce, et l’autorité souveraine, toujours redoutable dans un roi pauvre, ne se signalerait plus, dans un roi opulent, que par la douceur et la bienfaisance.

Un tel système, prétend encore l’abbé, n’est pas même une innovation. Le mettre en pratique, c’est tout simplement user du crédit, dont l’origine se perd dans la nuit des temps, et qui rapporte d’immenses bénétices au commerce. Qui donc ignore que les banquiers et les négociants ont en billets un fonds décuple de celui qu’ils possèdent en espèces ? Ce fait n’est-il pas la preuve que l’État, dont les richesses sont incommensurables, comparées à celles des particuliers, peut étendre son crédit dans une proportion bien supérieure ? et une preuve d’autant plus irrécusable, que le souverain jouit d’une prérogative qui ne saurait être l’attribut d’aucun particulier ? Un commerçant ne peut contraindre personne à accepter ses billets, mais le prince peut forcer tout le monde à recevoir les siens. Il n’y a pas là, comme quelques-uns semblent l’insinuer, de violence, de tyrannie ; car, de l’aveu de tous les publicistes, le droit de battre monnaie, sous quelque forme que ce puisse être, appartient au prince essentiellement. La monnaie ne vaut même que par la marque qu’il lui imprime, et qui est le signe de son autorité. Au fond, « un écu n’est qu’un billet conçu en ces termes : Un vendeur quelconque donnera au porteur la denrée ou marchandise