Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/245

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dire, pour leur défense, qu’ils n’ont fait que se conformer aux lois ; que si l’exécution de ces lois entraîne des inconvénients, c’est au gouvernement à y pourvoir par l’exercice de la puissance législative ; que ce n’est point au juge à les prévoir ; que l’exactitude est son mérite, comme la sagesse et l’étendue des vues est celui du législateur. Cette apologie n’est pas sans fondement ; et il est certain qu’on ne peut blâmer les juges d’Angoulême que d’après les principes d’une jurisprudence qu’aucune loi n’a consacrée.

XVI. — Raisons qui paraissent devoir décider à saisir cette occasion pour réformer la loi ou fixer la jurisprudence.

Faut-il pour cela rester dans l’inaction, et voir avec indifférence une fermentation dont les suites peuvent être aussi funestes au commerce ? Je ne puis le penser, et je crois, au contraire, que cette occasion doit déterminer le gouvernement, ou à réformer tout à fait les lois sur cette matière, d’après les vrais principes, ou du moins à fixer, d’une manière à faire cesser tout arbitraire, la jurisprudence qui doit tempérer la rigueur des lois existantes. Je crois enfin que, dans tous les cas, il est juste et nécessaire de venir au secours du commerce et des particuliers mal à propos vexés par ce qui s’est passé à Angoulême, et de les faire jouir du moins des tempéraments que la jurisprudence générale apporte à la sévérité des lois, et de la liberté qu’elle laisse à cet égard aux opérations du commerce.

XVII. — Motifs qui engagent à envisager les vrais principes de cette matière en eux-mêmes, et en faisant abstraction pour le moment des tempéraments que les circonstances peuvent exiger.

Quand je parle de changer les lois et de les ramener entièrement aux vrais principes de la matière, je ne me dissimule point les obstacles que peuvent mettre à cette réforme les préjugés d’une partie des théologiens et des magistrats ; je sens tout ce que les circonstances peuvent commander de lenteur, de circonspection, de timidité même. Ce n’est point à moi à examiner à quel point la théorie doit céder dans la pratique à des ménagements nécessaires ; mais je n’en crois pas moins utile de fixer entièrement nos idées sur le véritable point de vue sous lequel on doit envisager la matière de l’intérêt de l’argent, et les conventions auxquelles on a donné le nom d’usure. Il faut connaître les vrais principes, lors même qu’on est obligé de s’en écarter, afin de savoir du moins précisément à quel point on s’en écarte, afin de ne s’en écarter qu’autant exactement que la né-