Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/249

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si l’on veut que la simple possibilité de l’usage lucratif de l’argent suffise pour en légitimer l’intérêt, cet intérêt sera légitime dans tous les cas, car il n’y en a aucun où le prêteur et l’emprunteur ne puissent toujours, s’ils le veulent, faire de leur argent quelque emploi lucratif.

Il n’est aucun argent avec lequel on ne puisse ou se procurer un immeuble qui porte un revenu, ou faire un commerce qui donne un profit ; ce n’est assurément pas la peine d’établir en thèse générale que le prêt à intérêt est défendu, pour établir en même temps un principe d’où résulte une exception aussi générale que la prétendue règle.

XXIII. — La légitimité du prêt à intérêt est une conséquence immédiate de la propriété qu’a le prêteur de la chose qu’il prête.

Mais ce ne sont point ces vaines subtilités qui rendent légitime le prêt à intérêt, ce n’est pas même son utilité, ou plutôt la nécessité dont il est pour le soutien du commerce ; il est licite par un principe plus général et plus respectable encore, puisqu’il est la base sur laquelle porte tout l’édifice des sociétés ; je veux dire par le droit inviolable, attaché à la propriété, d’être maître absolu d, sa chose, de ne pouvoir en être dépouillé que de son consentement, et de pouvoir mettre à son consentement telle condition que l’on juge à propos. Le propriétaire d’un effet quelconque peut le garder, le donner, le vendre, le prêter gratuitement ou le louer, soit pour un temps certain, soit pour un temps indéfini. S’il vend ou s’il loue, le prix de la vente ou du louage n’est limité que par la volonté de celui qui achète ou qui prend à loyer ; et tant que cette volonté est parfaitement libre, et qu’il n’y a pas d’ailleurs de fraude de la part de l’une ou de l’autre partie, le prix est toujours juste, et personne n’est lésé. Ces principes sont avoués de tout le monde, quand il s’agit de toute autre chose que de l’argent, et il est évident qu’ils ne sont pas moins applicables à l’argent qu’à toute autre chose. La propriété de l’argent n’est pas moins absolue que celle d’un meuble, d’une pièce d’étoffe, d’un diamant ; celui qui le possède n’est pas plus tenu de s’en dépouiller gratuitement : le donner, le prêter gratuitement est une action louable que la générosité inspire, que l’humanité et la charité exigent quelquefois, mais qui n’est jamais de l’ordre de la justice rigoureuse. On peut aussi ou donner ou prêter toutes sortes de denrées, et on le doit aussi dans certains cas.