Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/250

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Hors de ces circonstances, où la charité exige qu’on se dépouille soi-même pour secourir les malheureux, on peut vendre son argent, et on le vend en effet lorsqu’on le donne en échange de toute autre marchandise ; on le vend lorsqu’on le donne en échange d’un fonds de terre ou d’un revenu équivalent, comme quand on le place à constitution ; on le vend contre de l’argent lorsqu’on donne de l’argent dans un lieu pour en recevoir dans un autre, espèce de négociation connue sous le nom de change de place en place, et dans laquelle on donne moins d’argent dans un lieu pour en recevoir plus dans un autre ; comme, dans la négociation du prêt à intérêt, on donne moins d’argent dans un temps pour en recevoir davantage dans un autre, parce que la différence des temps, comme celle des lieux, met une différence réelle dans la valeur de l’argent.

XXIV. — La propriété de l’argent emporte le droit de le vendre, et le droit d’en tirer un loyer.

Puisqu’on vend l’argent comme tout autre effet, pourquoi ne le louerait-on pas comme tout autre effet ? et l’intérêt n’étant que le loyer de l’argent prêté pour un temps, pourquoi ne serait-il pas permis de le recevoir ? Par quel étrange caprice la morale ou la loi prohiberaient-elles un contrat libre entre deux parties qui toutes deux y trouvent leur avantage ? et peut-on douter qu’elles ne l’y trouvent, puisqu’elles n’ont pas d’autre motif pour s’y déterminer ? Pourquoi l’emprunteur offrirait-il un loyer de cet argent pour un temps, si pendant ce temps l’usage de cet argent ne lui était avantageux ? Et, si l’on répond que c’est le besoin qui le force à se soumettre à cette condition, est-ce que ce n’est pas un avantage que la satisfaction d’un véritable besoin ? est-ce que ce n’est pas le plus grand de tous ? c’est aussi le besoin qui force un homme à prendre du pain chez un boulanger ; le boulanger en est-il moins en droit de recevoir le prix du pain qu’il vend ?

XXV. — Fausses idées des scolastiques sur la prétendue stérilité de l’argent ; fausses conséquences qu’ils en ont tirées contre la légitimité de l’intérêt.

Ces notions sont si simples, elles sont d’une évidence si palpable, qu’il semble que les détails dans lesquels on entre pour les prouver ne puissent que les affaiblir en fatiguant l’attention ; et l’on a peine à concevoir comment l’ignorance et quelques fausses subtilités ont pu les obscurcir. Ce sont les théologiens scolastiques qui ont introduit