Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/251

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les préjugés qui règnent encore chez beaucoup de personnes sur cette matière. Ils sont partis d’un raisonnement qu’on dit être dans Aristote ; et, sous prétexte que l’argent ne produit point d’argent, ils en ont conclu qu’il n’était pas permis d’en retirer par la voie du prêt. Ils oubliaient qu’un bijou, un meuble et tout autre effet, à l’exception des fonds de terre et de bestiaux, sont aussi stériles que l’argent, et que cependant personne n’a jamais imaginé qu’il fût défendu d’en tirer un loyer ; ils oubliaient que la prétendue stérilité de l’argent, si l’on pouvait en conclure quelque chose, rendrait l’intérêt d’un capital aliéné à perpétuité aussi criminel que l’intérêt du capital aliéné à temps ; ils oubliaient que cet argent prétendu stérile est chez tous les peuples du monde l’équivalent, non pas seulement de toutes les marchandises, de tous les effets mobiliers stériles comme lui, mais encore des fonds de terre qui produisent un revenu très-réel ; ils oubliaient que cet argent est l’instrument nécessaire de toutes les entreprises d’agriculture, de fabrique, de commerce ; qu’avec lui l’agriculteur, le fabricant, le négociant se procurent des profits immenses, et ne peuvent se les procurer sans lui ; que, par conséquent, sa prétendue stérilité dans le commerce n’est qu’une erreur palpable, fondée sur une misérable équivoque ; ils oubliaient, enfin, ou ils ignoraient que la légitimité du prix qu’on retire, soit de la vente, soit du loyer d’une chose quelconque, n’est fondée que sur la propriété qu’a de cette chose celui qui la vend ou qui la loue, et non sur aucun autre principe.

Ils ont encore employé un autre raisonnement qu’un jurisconsulte d’ailleurs très-estimable (M. Pothier d’Orléans), s’est attaché à développer dans son Traité des contrats de bienfaisance, et auquel je m’arrêterai par cette raison.

XXVI. — Autre raisonnement contre la légitimité de l’intérêt, tiré de ce que la propriété de l’argent passe à l’emprunteur au moment du prêt, d’où l’on conclut qu’il ne peut rien devoir au prêteur pour l’usage qu’il en fait.

« L’équité, dit-il, veut que dans un contrat qui n’est pas gratuit, les valeurs données de part et d’autre soient égales, et que chacune des parties ne donne pas plus qu’elle n’a reçu, et ne reçoive pas plus qu’elle n’a donné. Or, tout ce que le prêteur exige dans le prêt au delà du sort principal, est une chose qu’il reçoit au delà de ce qu’il a donné, puisque en recevant le sort principal seulement, il reçoit l’équivalent exact de ce qu’il a donné.