Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/261

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pitre, et que j’ai citées, comme des préceptes de justice rigoureuse, on s’obstine à vouloir interpréter différemment les expressions qui concernent le prêt gratuit.

Il faudrait trop de temps pour développer avec le même détail les passages de l’ancien Testament, que les théologiens citent encore à l’appui des mêmes préjugés ; on doit les expliquer de la même manière ; et, ce qui le prouve incontestablement, c’est la permission expresse, dans les lois de Moïse, de prêter à intérêt aux étrangers : Non fœnerabis fratri tuo ad usuram pecuniam, ne fruges, ne quamlibet aliam rem, sed alieno. « Tu ne prêteras point à ton frère à intérêt, ni de l’argent, ni des fruits, ni aucune autre chose, mais à l’étranger. » La loi divine n’a certainement pas pu permettre expressément aux juifs de pratiquer avec les étrangers ce qui aurait été défendu par le droit naturel. Dieu ne peut autoriser l’injustice. Je sais que quelques théologiens ont eu assez peu de bon sens pour dire le contraire. Mais cette réponse vraiment scandaleuse ne fait que prouver leur embarras, et laisser à l’objection la force d’une vraie démonstration aux yeux de ceux qui ont des notions saines de Dieu et de la justice.

XXIX. — Véritable origine de l’opinion qui condamne le prêt à intérêt.

Il se présente ici une réflexion : comment a-t-il pu arriver que, malgré l’évidence et la simplicité des principes qui établissent la légitimité du prêt à intérêt, malgré la futilité des sophismes qu’on a entassés pour obscurcir une chose si claire, l’opinion qui le condamne ait pu se répandre aussi généralement, et flétrir presque partout le prêt à intérêt sous le nom d’usure ? On conçoit aisément que l’autorité des théologiens rigides a beaucoup contribué à étendre cette opinion et à l’enraciner dans les esprits ; mais comment ces théologiens eux-mêmes ont-ils pu se tromper aussi grossièrement ? Cette erreur a sans doute une cause, et il est important de la développer pour achever d’approfondir le sujet de l’usure, et de le considérer sous toutes les faces. La source du préjugé des théologiens n’est pas difficile à trouver. Ils n’ont imaginé des raisons pour condamner l’usure ou le prêt à intérêt, que parce qu’elle était déjà flétrie par le cri des peuples auxquels les usuriers ont été de tout temps odieux. Il est dans la nature des choses et des hommes qu’ils le deviennent ; car, quoiqu’il soit doux de trouver à emprunter, il