Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/262

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est dur d’être obligé de rendre. Le plaisir d’être secouru dans son besoin passe avec la satisfaction de ce besoin ; bientôt le besoin renaît, la dette reste, et le poids s’en fait sentir à tous les instants, jusqu’à ce qu’on ait pu s’acquitter ; de plus, on ne prête jamais qu’un superflu, et l’on emprunte souvent le nécessaire ; et quoique la justice rigoureuse soit entièrement pour le prêteur-créancier, qui ne réclame que ce qui est à lui, l’humanité, la commisération, la faveur penchent toujours pour le débiteur. On sent que celui-ci, en rendant, sera réduit à la dernière misère, et que le créancier peut vivre malgré la privation de ce qui lui est dû. Ce sentiment a lieu lors même que le prêt a été purement gratuit ; à plus forte raison, lorsque le secours donné à l’emprunteur ne l’ayant été que sous la condition d’un intérêt, il a reçu le prêt sans reconnaissance ; c’est alors qu’il souffre avec amertume et avec indignation les poursuites que fait contre lui son créancier pour l’obliger à rendre. Dans les sociétés naissantes, lorsque l’on connaît à peine le commerce, et encore aujourd’hui dans celles où le commerce n’est pas très-animé, il y a peu d’entreprises lucratives, on emprunte peu pour elles ; on ne le fait guère que pour satisfaire à un besoin pressant ; le pauvre et l’homme dérangé empruntent ; l’un ni l’autre ne peuvent rendre qu’en conséquence d’événements heureux, ou par le moyen d’une extrême économie ; l’un et l’autre sont donc souvent insolvables, et le prêteur court des risques d’autant plus grands. — Plus le prêteur risque de perdre son capital, plus il faut que l’intérêt soit fort pour contrebalancer ce risque par l’appât du profit. Il faut gagner sur l’intérêt qu’on tire du petit nombre d’emprunteurs solides, le capital et les intérêts qu’on perdra par la banqueroute de ceux qui ne le seront pas. Ainsi, plus le besoin qui fait emprunter est urgent, plus l’intérêt est fort. C’est par cette raison que l’intérêt à Rome était excessif. Celui de 12 pour 100 passait pour très-modéré. On sait que ce même intérêt de 12 pour 100 a été longtemps en France l’intérêt courant. Avec un intérêt aussi fort, quiconque ne fait pas un emploi prodigieusement lucratif de l’argent qu’il emprunte, quiconque emprunte pour vivre ou pour dépenser, est bientôt entièrement ruiné et réduit à l’impuissance absolue de payer. Il est impossible que, dans cet état, le créancier qui lui redemande son dû ne lui soit pas odieux. Il le serait quand même il ne redemanderait que la somme précise qu’il a prêtée ; car, à qui nô peut rien payer, il est égal qu’on